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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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Le 16 mai 2020

Illustration : Un centre de tri Interview : Le COVID19 dans un centre de tri de bpost

Nous avons demandé à un travailleur chez bpost comment se déroule le travail dans cette période de pandémie.

EL : Peux-tu nous expliquer quelle est la situation dans le centre de tri où tu travailles actuellement ?

 Tout d’abord je vais faire un petit rappel de la situation avant la crise. C’est important pour bien comprendre notre situation actuelle. Bpost est une société anonyme de droit public, dont l'État possède 51 % des actions. Elle a deux grands secteurs d'activité : à part le traitement du courrier postal, elle gère un réseau de bureaux de poste qui, outre les produits postaux, commercialise des produits financiers et d'assurance de sociétés filiales.

 La forte croissance du volume de paquets explique la création, fin 2017, d'un énorme centre de tri à Bruxelles. C'est le deuxième de toute l'Europe. Il occupe un terrain grand comme 16 terrains de football.

Selon les chiffres de 2018, plus de 200.000 paquets sont traités en moyenne par jour, avec un chiffre d'affaire de 3,85 milliards d'euros, une augmentation de 27 % ! Notre centre a établi un record en traitant plus de 400.000 paquets par jour au mois de décembre 2019 (le mois le plus important pour le traitement des paquets). Et pour les travailleurs, ce « record » est un grand problème : il va de pair avec une constante diminution du nombre de travailleurs et c'est donc une surcharge de travail insupportable. C'est cela la réalité, à la veille de l'apparition du Coronavirus.

Fin février 2020, il y a des sentiments de colère et de stress. On entend : « Nous allons mourir comme des chiens ici, il y a des colis qui viennent de Chine ! ». Ces colis qui viennent de Chine doivent être traités comme les autres. Un délégué nous explique que les responsables doivent prendre les mesures nécessaires. Et, comme dans les entreprises en général, la direction prend des mesures light : une bonne hygiène des mains et l'éternuement dans un mouchoir jetable... Bref, les règles basiques. Pas de distanciation sociale, pas de masques, même pas de gel hydroalcoolique. Dans la navette qui transporte les travailleurs depuis le centre de Bruxelles, par exemple, il n'y a aucune distance sociale, aucune mesure de sécurité. Et cette situation va continuer jusqu'au début du confinement, le 18 mars 2020.

La réponse des trois syndicats, qui représentent plus de 1000 travailleurs de notre centre, n'a pas été à la hauteur, elle a été très timide. Aucune action, seulement des petites réunions avec la direction pour dire qu'il faut mettre quelque chose en place face à la crise. Cette situation de panique m'a obligé à défendre les intérêts de notre classe. J'ai commencé à parler avec des délégués de notre syndicat et avec des collègues, pour faire quelque chose, comme un arrêt de travail, par exemple, mais je n'avais aucune réponse positive du syndicat. La solution proposée par le syndicat a été individuelle. Un délégué m'a dit : « Si tu as peur pour ta vie, tu peux prendre un congé de maladie. » C'est ça leur solution. Dans ce cadre, la plupart des travailleurs avec un Contrat à Durée Indéterminée (CDI) commencent à prendre un congé de maladie d’une semaine, d'un mois. Le chiffre d'absentéisme atteint 15 %. Á cela s'ajoute le fait que, avec le confinement et la fermeture des magasins de produits non essentiels, les gens tendent à faire des achats online. Qui plus est, d'autres sociétés commencent à envoyer leurs produits vers notre centre de tri. Cet afflux massif de paquets mène à un blocage dans tous les centres, Bruxelles, Charleroi, Anvers, conduisant à une situation dramatique pour les travailleurs qui croulent sous la surcharge de travail. Il y a trop de paquets ! Normalement, durant le mois de mars et avril, on arrive à des chiffres de 200, 230, 240 milliers de paquets par jours. Mais dans cette situation, nous avons plus de 300.000 paquets par jour ! Il y a des paquets tout au long des allées que nous empruntons (les petits chemins empruntés par les chariots de transport dans le centre). Tout est envahi par les paquets !

Cette surcharge de travail mène à une situation dramatique pour la santé des travailleurs.

EL : Donc, à cause de la pandémie, vous avez clairement un afflux de produits qui ne sont pas essentiels. C’est bien ça ?

Oui. La majorité de ces produits ne sont pas essentiels. Par exemple, de l'électroménager, des vêtements, des produits de publicité, des équipements sportifs, du maquillage, etc. Bref, on retrouve n'importe quoi, tout passe par notre centre. Il n'y a donc pas seulement des produits « nécessaires », comme des médicaments, de la nourriture. C'est pour cela qu'on a des chiffres exorbitants. Techniquement, bpost est toujours censée être « publique », mais il n’y a aucun contrôle des autorités sanitaires pour interdire le trafic de paquets non-essentiels afin de limiter les risques pour le personnel.

On voit clairement ici à quel point le système capitaliste mène au maintien du commerce de tout et de n’importe quoi, sur le dos des travailleurs qui doivent porter une quantité exorbitante de paquets lourds et non-essentiels en ces temps de crise stressante pour nous tous.

Notre centre est passé d'un volume de 200.000 à 400.000 paquets par jour ! J'ai mentionné le « record » de décembre 2019 de plus de 400.000 paquets par jour. Et bien, le mois de mars de 2020, on a fait presque 550.000 paquets par jours. Un nouveau record. C'est une augmentation incroyable, c'est énorme.

Pour répondre à cette situation, la direction de bpost donne une prime de 8 euros par jours presté pendant 3 mois (mars, avril et mai) pour motiver les gens à travailler. Et pour motiver les intérimaires, bpost a commencé à leur donner des CDD, des Contrats à Durée Déterminée... de deux mois ! C'est choquant, je trouve. Pas de CDI ! Il faut savoir que, depuis un an et demi, aucun CDI n'a été donné chez nous. Qui plus est, quand la crise du Coronavirus a commencé, les intérimaires ont été obligés par l'agence d’intérim d'aller travailler, sans quoi ils se retrouvaient sur une liste noire qui empêche de travailler chez bpost. C'est une réalité, très difficile, et les syndicats n'ont rien dit à ce sujet !

Pour les travailleurs qui peuvent faire du télétravail, certains sont déplacés pour aider dans les centres de tri. Comme à La Monnaie où il y a 2000 travailleurs, dont 200 vont donner un coup de main dans les centre de tri. Chez nous, il y a 50 personnes en renfort.

EL : Y a-t-il eu des cas de travailleurs infectés par le Coronavirus ?

Plusieurs agents dans notre centre ont été infectés par le Coronavirus. Un chauffeur est décédé, Paolo Suarez Pardal. Il avait 25 ans et travaillait pour l'antenne de Lumen. Il avait pris plusieurs jours de congé et est tombé malade. Il est donc resté à la maison pour se rétablir et il est décédé dans l'ambulance qui l'amenait à l’hôpital, le 9 avril 2020. Mais le communiqué de bpost n'explique pas réellement si l'infection de Coronavirus vient de notre centre, où s'il a été infecté hors du travail. Aucune responsabilité évidement...

EL : Où en sont les syndicats dans cette crise ?

Malheureusement, qu'ils soient verts, rouges ou bleus, ils n'ont joué aucun rôle pour défendre les intérêts des travailleurs. Il n'y a eu que quelques visites formelles des permanents pour de petites réunions avec la direction. Tout ce qu'ils demandent, c'est de meilleures négociations avec le CEO de bpost. Ils ne demandent pas la suppression des produits non-essentiels, et il n'y a aucun plan pour organiser les travailleurs en faisant des assemblées. Tout cela, ce sont des rêves d'un passé lointain... Ici, on peut dire que les syndicats ne reflètent pas les intérêts des travailleurs, ça au moins, c'est clair. Après presque deux mois de confinement - deux mois ! - la CSC a déposé un préavis de grève le 24 avril au sein de bpost pour dénoncer : « une hausse de la charge de travail, consécutive à un nombre croissant de colis traités par l'entreprise », et d'autre part, pour garantir « la sécurité et la santé du personnel, ce qui est extrêmement important en ces temps de crise du Coronavirus ». Mais en réalité, le syndicat chrétien signale seulement que la direction de bpost ne l'écoute pas, alors qu'ils veulent des solutions à travers une bonne négociation.

EL: Il n'y a pas d'actions ou de grèves ?

Non, et non... L'objectif réel est de récupérer une négociation entre les syndicats et le patronat, c'est tout. Pour moi, l'annonce d'une grève, c'est juste de la propagande gratuite. Ce qui le démontre, c'est que les délégués CSC de notre centre, à qui j'ai parlé le lundi 27, n'étaient même pas au courant du préavis déposé le vendredi 24 ! Cela démontre une réalité très grave, à savoir que la bureaucratie syndicale est dans son bureau et dit ce que doivent faire les travailleurs, qui, eux, sont sur le terrain. Et les délégués de base, qui devraient être au courant, ignorent les décisions de cette bureaucratie. Alors quoi ? Et puis, c'est bien de faire une grève, mais pourquoi seulement les verts? Car la réalité de nos conditions de travail touche tout le monde. Donc, si nous faisons une grève c'est tous ensemble. C'est pourquoi je disais que le préavis, c'est une propagande gratuite pour les vert. Sur le terrain, il n'y a rien de concret.

EL : Veux-tu ajouter quelque chose ?

Oui, plus que jamais nous devons nous organiser face à la direction esclavagiste de bpost, une direction qui montre bien où va le système économique capitaliste dans cette crise : c’est du concret : l’économie, les profits, avant nos vies.

Il faut que nous construisions ensemble une sortie ouvrière et socialiste à cette pandémie. Bien sûr, ce n’est pas facile : chez nous, près de 80 % des travailleurs sont des immigrés. L’exploitation est double, car les différentes origines sont utilisées pour nous diviser. C'est donc très difficiles de nous organiser, pour cette raison. Mais nous devons mener cette bataille pour notre unité, et les arrêts de travail spontanés contre la surcharge de travail, notamment lors de la grève de fin 2018, ont montré que nous pouvons être tous ensemble.

C’est avec cette unité entre nous, toutes fonctions confondues, trieurs, chauffeurs, facteurs, que nous devons nous organiser. Malheureusement, nous avons face à nous des syndicats qui ne mobilisent pas. Nous devons leur rappeler que c’est la base qui décide, et exiger dans des assemblées de reprendre le chemin de la mobilisation.

C'est cela que nous devons comprendre. Nous, les travailleurs mécontents, nous devons nous organiser pas à pas, pour dépasser dans la lutte la division que nous imposent les différentes directions syndicales, pour mieux défendre nos droits. Nous devons nous cordonner avec les autres travailleurs de notre société afin d’arriver à une solide organisation syndicale qui peut défendre l’intérêt de notre classe contre le patronat et la bureaucratie syndicale. Une organisation de notre classe, qui doit se préparer pour prendre en mains les rênes de l'État, mettre fin a la société du profit d'une infime minorité et construire une autre société, une société socialiste.

le-roi-philippe-en-visite-dans-un-centre-de-tri-a-braine-l-alleud_web_pt_visite_roi_centre_de_tri.pngLe Roi brave le confinement Le 24 avril dernier, le Roi a rendu visite à un centre de distribution de bpost à Braine l'Alleud. Pourquoi le représentant de l'Etat et de toute la bourgeoisie vient visiter un centre ? Pourquoi braver le confinement, quelle raison essentielle a justifié ce déplacement ? Le camarade du centre de tri nous répond : « Je pense que c'est parce que les centres de tri sont très importants et qu'ils essayent de motiver les travailleurs. Dès que la visite a eu lieu, on en a eu les photos dans notre centre ! C'est pour montrer aussi au grand public que « tout va bien », que « les travailleurs sont soutenus ». Ainsi, le Roi donne un joli vernis à la brutale exploitation capitaliste chez bpost, un Roi qui « mange à la cantine comme tous les autres travailleurs ». Quelle blague ! Quand on sait la vie luxueuse que ces pantins de la bourgeoisie mènent à nos frais !