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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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1er juillet 2014 - Ricardo Ayala

Un vote contre l'austérité, l'UE et l'euro, capitalisé par la droite

Le résultat des élections européennes est considéré par certains médias impérialistes comme un véritable séisme politique, sans parler de l'importante abstention, qui a atteint plus de 80 % dans certains pays.
   La victoire de l'extrême droite du Front national (FN) de Marine Le Pen en France (25 % des voix), et celle de l'United Kingdom Independence Party (UKIP ), le parti populiste de droite de Nigel Farage en Angleterre (29 %), d'une part, et la victoire électorale de Syriza en Grèce, d'autre part, sont un reflet de la polarisation sociale croissante dans le continent, une polarisation qui s'approfondit.
   A ces deux éléments, il faut ajouter un troisième : la débâcle des partis issus de la social-démocratie. Ils ont une tendance générale à l'approfondissement de leur crise et ils essuient, à quelques exceptions près, une défaite comme parti au pouvoir.
   Un fait incontestable est signalé partout : le résultat plus général de ces élections indique, malgré les inégalités et les contradictions nationales, un vote contre l'austérité et contre l'UE et l'euro, capitalisé par la droite, sauf dans le cas de la Grèce et l'Espagne, comme on le verra ci-dessous.

Un vote contre les gouvernements

Les partis au pouvoir qui appliquent des plans d'ajustement, qu'ils soient de la droite traditionnelle ou de la social-démocratie, ont subi une défaite cuisante, sauf en Allemagne et en Italie, où les partis au pouvoir ont été le plus votés. (L'Espagne est un cas particulier, car le Parti populaire (PP) est bien le parti le plus voté, mais il a chuté de 42,23 % en 2009 à 24 % en 2014, perdant deux millions et demi de voix.) Les électeurs se sont prononcé clairement contre les coupes et contre le chômage qui touche 26 millions de travailleurs, ni plus ni moins, le taux de chômage des jeunes étant de 60 % en Grèce et de 55 % en Espagne.
   La CDU d'Angela Merkel a obtenu 35,30 %, contre 30 % en 2009, et le SPD est passé de 20 à 27 %, les deux partis participant à un gouvernement de coalition en Allemagne. Et la situation en Italie va dans le même sens, le Partito Democratico (PD) ayant obtenu 40 %, contre 26,13 % en 2009. Toutefois, en considérant l'ensemble du vote en Europe, le groupe parlementaire des chrétiens-démocrates (le Parti populaire européen – PPE) a chuté de 35,72 à 28,5 %. Les partis au gouvernement au Portugal ont connu le même sort : le Partido Social Democrata (PSD) et le Centro Democrático e Social – Partido Popular (CDS) ont chuté de 31,71 % en 2009 à 27,7 %, ce qui toutefois a été capitalisé par le Partido Socialista (PS), qui a grimpé de 26,53 % en 2009 à 31,5 %.
   Le taux élevé d'abstention aux élections n'est pas compatible avec la grande propagande selon laquelle le taux de 2009 se serait maintenu. En Slovaquie, l'abstention a été de 87 % ; en République tchèque, de 80,5 % ; en Pologne, de près de 80 %. C'est-à-dire, dans toute l'Europe de l'Est soumise au pillage et à l'exploitation des pays impérialistes européens, en particulier de l'Allemagne, le taux d'abstention était beaucoup plus élevé que les chiffres globaux vantés par la presse.
   Dans l'Ouest, le Portugal, avec 66 % d'abstention, et l'Angleterre, avec 64 %, expriment également le même phénomène, quoiqu’avec de profondes différences à l'intérieur de chaque pays. Dans les régions et les quartiers ouvriers des grandes villes, l'abstention est plus élevée, ce qui indique que de larges secteurs du prolétariat ont carrément refusé de voter.
   De là, nous entrons dans le domaine du « séisme politique » proclamé partout. Le PASOK grec est tombé à la quatrième place, passant de 36,65 % en 2009 à 8 %. La crise devient grave ; on parle de vote historique dans l'histoire électorale de ces organisations, qui ont été le pilier des régimes de la démocratie bourgeoise européenne et qui étaient assimilées à l'état de bien-être qu'eux-mêmes sont en train de détruire, comme fer de lance du capital financier.
   Ainsi, le discours populiste, raciste et anti-UE de Nigel Farage (UKIP) en Angleterre a remporté la première place, laissant en deuxième et troisième position le Labour et les Tories, ce qui n'était pas arrivé depuis 1910. Il convient de noter que le Labour en Angleterre est dans l'opposition. La même chose vaut pour le PSOE en Espagne qui, même en étant dans l'opposition, chute de 38 % en 2009 à 23 %, ayant perdu trois millions de voix ; et le résultat de l'élection conduit à la démission du secrétaire général et à la convocation d'un congrès extraordinaire. Cette même crise est encore plus profonde en France, où le PS eut le pire résultat électoral de son histoire, descendant à la troisième place avec 14 % des voix.
   Les partis issus de la vieille social-démocratie, convertis en sociaux-libéraux, présentent l'UE comme un modèle d'intégration qui mettrait fin aux inégalités sur le continent. Mais ce sont leurs gouvernements qui ont imposé les « critères de Maastricht » et qui ont adopté la « stratégie de Lisbonne », mettant en oeuvre, à partir des années 1990, l'ajustement structurel et la destruction des acquis historiques de la classe ouvrière. L'alternance au gouvernement avec les chrétiens-démocrates, en vigueur dans la plupart des gouvernements européens après la Seconde Guerre mondiale, arrive à son terme ; c'est l'événement le plus important de ces élections.
   Mais ce processus n'est pas sans contradictions ; il libère des forces non uniquement à gauche. La croissance des organisations d'extrême droite et des fascistes, comme Aube Dorée, fait déjà partie de la réalité politique de l'Europe.

L'extrême droite capitalise le mécontentement social

La presse présente la victoire électorale de Nigel Farage (UKIP) en Angleterre et de Marine Le Pen (FN) en France comme un séisme provoqué par l'extrême droite. La signification politique profonde du résultat des élections ne se limite toutefois pas au poids gagné par ces partis au sein du parlement européen. Il y a aussi le fait que l'on ne puisse même pas s'imaginer l'UE sans un accord entre l'impérialisme allemand et le français. Le résultat électoral n'est qu'une facette de la réalité, mais le fait est qu'il y a eu un profond rejet de l'UE en France, capitalisé par le FN.
   Le parti de Marine Le Pen est surtout connu pour ses positions racistes et xénophobes ; il stigmatise les immigrants comme responsables du chômage, et la valeur de la pension des Français diminuerait, selon Le Pen, à cause de l'aide sociale octroyée aux travailleurs immigrés. Mais ce discours n'est qu'une partie de leur agitation. Dans ces élections, le FN est descendu dans la rue pour défendre en outre autre chose ; il clairement mis à l'ordre du jour « la sortie de l'euro et de l'UE. Nous devons restaurer notre monnaie nationale et les prérogatives de la Banque de France, pour stimuler nos exportations, notre industrie et l'emploi. »
   Concernant l'Accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis, le FN a défendu son rejet. Il a affirmé qu'il s'agit d'une « machine ultralibérale, antidémocratique, antiéconomique et antisociale. » Selon lui, au cas où l'accord serait adopté, cela signifierait « que l'ensemble des normes environnementales, agricoles et alimentaires serait modifié au profit des grandes multinationales ».
   Le fait est qu'un quart des électeurs français ont voté pour cela. En d'autres termes, ils ont clairement voté pour la sortie de l'euro. Selon un journaliste, le programme du FN est « une défense nostalgique des vieux Etats nation ». En réalité, la nostalgie concerne le rôle occupé par l'impérialisme français à la tête de l'Europe. Alors que l'UE est un instrument de l'impérialisme français, ce n'est pas elle qui dicte la politique des gouvernements français. Ce sont les capitalismes financiers français et allemand qui dictent ensemble le modèle de l'ajustement structurel européen, et l'UE n'est qu'un instrument de sa mise en œuvre dans la plupart des pays dominés.
   Le déclin de la France n'est en fait pas seulement une conséquence de la crise qui a commencé en 2007. Celle-ci ne fait qu'exacerber la chute des exportations, la fermeture des usines, la délocalisation des entreprises et la hausse du chômage. Pour le capital financier français, il n'y a pas d'autre choix que celui de faire avancer les réformes, c'est-à-dire d'attaquer les travailleurs et leurs acquis historiques.
   Le national-impérialisme de Le Pen s'en veut à l'UE et réaffirme l'impérialisme français, qui se trouve actuellement en deuxième ligne dans l'UE. C'est pourquoi il est profondément réactionnaire. Il exprime la crise des petites et moyennes entreprises ruinées par la crise et la libre circulation des capitaux. Ces PME trouvent dans le FN et son discours anti-UE une explication pour leur ruine ; et c'est aussi le cas pour les chômeurs et la petite production agricole.
   Le hold-up électoral que représente l'élection de Hollande – qui fait le contraire de ce qu'il a promis et met en marche un programme de coupes de 50 milliards d'euros dans le budget, le lendemain des élections municipales – a ouvert la voie pour le FN. Malheureusement, en France, il n'y avait aucun secteur de la gauche qui posait la nécessité de détruire l'Union européenne – cet instrument au service du capital financier européen, en particulier le français – à partir d'une perspective anti-capitaliste et anti-impérialiste.
   Bien que le FN ne soit pas la première option du capital financier français, les processus politiques suivent leur propre rythme. L'augmentation de la polarisation sociale et le discours populiste de Le Pen ont ouvert la voie électorale parmi des secteurs du prolétariat. La victoire de Le Pen ne remet pas en cause la politique d'attaques contre les travailleurs. Mais la discussion concernant les propositions pour la présidence de la Commission européenne montre que le résultat des élections va dans le sens du renouvellement de l'ordre du jour de la social-démocratie française, que ce soit pour approfondir l'attaque contre les travailleurs immigrés ou pour faire pression sur l'Allemagne pour desserrer le garrot.
   L'Allemagne n'est pas non plus restée à l'écart du phénomène politique qui a fustigé l'UE et l'euro, même si son cas n'a pas de commune mesure avec ce qui se passe en France ou en Angleterre. Alternative für Deutschland (AFD – Alternatif pour l'Allemagne), un parti issu d'une rupture dans la CDU, quelques mois avant les élections de 2013 dans ce pays, et qui prône ouvertement la rupture avec l'UE, a eu 7 % des voix. Et en Italie, le PD a bien eu la victoire, mais la deuxième place (21,2 % des voix) a été obtenue par le mouvement populiste et réactionnaire contre l'UE de Beppe Grillo, alors que la Ligue du Nord – un parti qui était sur le point de disparaître après les élections législatives de l'année dernière à cause de la crise de sa direction historique (Bossi) – a repris du poil de la bête. En prônant clairement la sortie de l'euro, en défense de l'impérialisme italien, sans oublier de mener une politique contre les immigrés, il a obtenu 6,16 % des voix.
   Le résultat des deux formations qui revendiquent franchement le fascisme – Aube dorée en Grèce, avec 9,4 % des voix et trois députés élus ; et le Parti national-démocrate en Allemagne, un parti nazi, avec 1 % des voix et un député élu – est bien l'élément le plus inquiétant pour les travailleurs grecs et européens. Contrairement à l'extrême droite parlementaire, ces partis clairement fascistes essayent d'utiliser des méthodes de guerre civile contre le prolétariat, quoiqu'ils ne l'aient pas encore réussi. Ils sont le reflet d'un plus haut degré de polarisation sociale.

La gauche réformiste

En Grèce et en Espagne, où les forces néo-réformistes occupent l'espace laissé ouvert par la crise des partis sociaux-libéraux, les élections montrent un virage électoral à gauche, ce qui n'est pas le cas en France et en Angleterre. En Grèce, la victoire électorale de Syriza – qui obtient 26,60 %, et à quoi il faut ajouter les 6 % du KKE et les 0,75 % d'Antarsya – la renforce comme une alternative électorale pour les prochaines élections générales. La plupart des travailleurs voient dans ce parti un outil pour changer leur vie, en dépit de son programme de restructuration de la dette et de son refus de faire face à la nécessité d'une rupture avec la semi-colonisation de la Grèce.
   En Espagne, le phénomène électoral de Podemos (7,97 %) – qui est devenu l'expression politique du 15M du mouvement des Indignados – est le fait nouveau le plus important des élections. Centré sur la figure de Pablo Iglesias (un professeur d'université, commentateur politique à la télévision), il a cinq députés élus. Bien que de nombreux éléments de son programme placent ce parti à la droite de Izquierda Unida, il apparaît non seulement comme l'expression de la crise sociale, mais également comme une manifestation du ras-le-bol avec les parties du régime, du cri « ils ne nous représentent pas » des manifestations, de l'usure de la démocratie bourgeoise et du bipartisme, ce qui n'est guère le cas de Izquierda Unida, qui gouverne avec le PSOE en Andalousie.
   Si au score de Podemos, on ajoute le vote pour Izquierda Unida (9,99 %), le vote historique de Esquerra Republicana (le parti le plus voté en Catalogne) et le vote pour BILDU au Pays Basque, on se fait une idée du rejet des mesures de Rajoy et de l'UE, et de l'approfondissement de la crise du régime.
   Les autres membres les plus importants du Parti de la Gauche européenne (PGE – un rassemblement de partis réformistes et néo-réformistes), non mentionnés ci-dessus, n'ont pas réussi à capitaliser la colère et la polarisation sociales, même s'ils ont obtenu un score important.
   En Allemagne, Die Linke a obtenu 7,40 % des voix. En France, le Front de Gauche de Mélenchon a obtenu 6,34 %. En Italie, la coalition de Sinistra e Liberta (SEL - Gauche et Liberté) et Refundación (L'Altra Europa - l'autre Europe, avec Tsipras) a obtenu 4,3 %, un résultat bien en deçà du 6 % de 2009. Au Portugal, le Bloco de Esquerda (BE - bloc de gauche) a régressé de 10,72 % en 2009 à 4,56 % (une perte de 250.000 voix), alors que le Partido Comunista Português (PCP) est passé de 10,64 % en 2009 à 12,67 %, une croissance qui ne compense toutefois pas la perte du BE. Les parties à la gauche du Front de Gauche en France, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA 0,3 %) et Lutte ouvrière (1 %), n'ont pas obtenu des résultats comparables à ceux des élections précédentes.

La campagne des sections de la LIT-QI

Nous pouvons être très fiers de la campagne des sections de la LIT qui ont participé pour la première fois aux élections européennes. Nos résultats sont modestes, mais ils ont confirmé la bataille politique pour un programme et la nécessité de construire une alternative de la classe ouvrière. Tant le MAS au Portugal comme Corriente Roja en Espagne ont ouvert leurs listes pour les militants des luttes.
   Au Portugal, des camarades de la lutte du transport dans la ville de Porto et des militants des centres d'appels ont été intégrés dans les listes ; dans la campagne électorale, le fait que « l'euro mène le pays au naufrage » a été dénoncé et les grandes manifestations contre la Troïka ont été revendiquées dans les programmes de télévision, tout comme la défense de la lutte des travailleurs comme seule alternative. Le MAS a ainsi obtenu 12 440 voix (0,38 %).
   Corriente Roja, qui a obtenu cinq mille voix, a également ouvert ses listes à des militants indépendants : des éboueurs de Madrid, qui ont mené récemment une grève importante qui a polarisé la ville ; deux mineurs des Asturies ; et en tête de liste, un travailleur d'UPS, symbole de la lutte contre les licenciements à Madrid. La grève de plus de sept mois des travailleurs de Panrico, en Catalogne, contre les coupes dans les salaires et les licenciements, était présente dans les programmes de télévision.

L'instabilité sur le continent continue

Finalement, le résultat de ces élections est déterminé par les quatre éléments décrits dans cet article, combinés de différentes manières et reflétant le degré de crise et d'ajustement structurel dans chacun des pays : la grande abstention, qui atteint des niveaux plus élevés dans l'Est, ne fait que confirmer une tendance à la baisse du nombre de votants aux élections européennes ; les partis des démocrates-chrétiens (PPE) et des sociaux-libéraux (PSE) qui gouvernent dans la plupart des pays européens perdent des voix, à de rares exceptions près (l'Allemagne et l'Italie) ; le néo-réformisme européen ne capitalise qu'une partie seulement de la crise, sauf en Grèce et en Espagne ; et la croissance de l'extrême droite – y compris les secteurs carrément fascistes – dans les pays centraux était le fait politique central. Mais quels que soient la forme et le poids de la combinaison des éléments cités ci-dessus, ces résultats n'annoncent dans aucun cas une période de stabilité politique.