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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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9 mars 2017
Alejandro Iturbe

Trump et le monde

Les tensions provoquées par Trump au sein de la bourgeoisie se manifestent aussi à l'échelle internationale, lorsqu'il attaque deux des piliers des politiques centrales mises en œuvre par les puissances impérialistes au cours des dernières décennies.
   Tout d'abord, il attaque et cherche à mettre de côté la politique que nous avons appelée la réaction démocratique : faire face aux situations difficiles dans le rapport de forces avec les masses – des situations qui empêchent ou limitent les possibilités d'une action militaire directe – par le biais de pactes, de négociations et d'élections. Avec ces attaques, la polarisation de la situation politique et les affrontements dans les régions comme le Moyen-Orient et l'Amérique latine et dans des pays comme le Mexique, Israël-Palestine, l'Iran, etc. augmentent.


   En second lieu, comme nous l'avons indiqué dans les articles précédents, il attaque la politique des accords internationaux de libre-échange, qui expriment un aspect important de la politique de l'impérialisme au cours des dernières décennies.
   Dans les deux cas, Trump a rompu ou mis à mal des liens avec des gouvernements qui sont des alliés naturels de l'impérialisme étasunien (ou qui sont actuellement importants dans les politiques que celui-ci mettait en œuvre). On peut dire que, jusqu'à présent, il n'a fait que « gagner des ennemis ».
   Le cas le plus notoire est celui du président mexicain Peña Nieto, l'un des agents semi-coloniaux les plus serviles de l'impérialisme yankee, qui gouverne un des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Avec la proposition du mur sur la frontière et l'exigence que le Mexique le paye, Trump a obligé ce président à lui faire face en s'opposant à cette construction et son financement. Dans un premier temps, il se peut que Peña Nieto gagne un bol d'air frais au Mexique en affichant une résistance à l'empire. Mais dans un deuxième temps, son gouvernement va s'affaiblir. Tout d'abord, parce que Trump menace de fermer ou de réduire la principale voie de développement subordonné, à laquelle d'importants secteurs de la bourgeoisie mexicaine s'étaient intégrés : les industries maquiladoras du Nord du pays et le travail semi-esclave qui y est fait. Ensuite, parce que Trump veut fermer la soupape de sécurité que l'émigration vers les Etats-Unis représentait pour de nombreux Mexicains qui fuient la pauvreté et la misère de leur pays. Et, surtout, le gouvernement de Peña Nieto s'affaiblira face au processus de montée et de mobilisations auquel il fait face dans son pays. Ce n'est pas par hasard que les manifestations, à la frontière étasunienne du pays contre Trump et son mur, sont également dirigées contre Peña Nieto.
   Dans une moindre mesure, Trump affaiblit également ses liens avec des agents pro-impérialistes comme Temer au Brésil et Macri en Argentine, en rendant plus fastidieuses les démarches d'obtention de visa d'entrée pour les citoyens de ces pays. Concernant l'Argentine, il a également suspendu l'autorisation, octroyée par Obama, d'exporter des citrons vers les Etats-Unis. Bien que le montant concerné est faible (vingt millions de dollars), ce fut un fait symbolique qui, dans le contexte d'une crise de l'économie argentine, a affaibli Macri et a provoqué de vives critiques internes.
   De la même importance que le cas du Mexique, si pas plus, est la détérioration des relations avec le régime en Chine. Ce pays, avec une économie subordonnée à l'impérialisme, est l'un des principaux fournisseurs et partenaires commerciaux des Etats-Unis. D'une part, Trump abandonne le projet de Partenariat Transpacifique (TPP) et menace de taxer l'importation de produits industriels de ce pays. Avec cela, il fait face non seulement aux multinationales qui ont des usines, propres ou de partenaires, en Chine, mais il menace également toute la dynamique du « modèle chinois » à un moment où celui-ci montre de sérieux signes de crise. Soit dit en passant, cette sortie du TPP lui met aussi le Japon à dos, un pays qui avait déposé de nombreux espoirs économiques dans ce traité.
   D'autre part, Trump a commencé à flirter, de façon tout à fait gratuite, avec le régime de Taiwan, une île où s'est enfuie la bourgeoisie chinoise expulsée du continent et sur laquelle le gouvernement central chinois revendique la souveraineté. Avec ces politiques, il se met à dos le régime chinois, qui est objectivement un allié naturel de l'impérialisme yankee (un allié de nature dépendante, mais de poids).
   Un autre cas important est celui de l'Iran et du régime des ayatollahs. Quand la défaite dans l'occupation militaire de l'Irak est devenue évidente, Bush lui-même d'abord, et ensuite très clairement Obama, ont cherché à intégrer le régime iranien – un « ennemi » à partir de la révolution de 1979 – à la politique impérialiste d'essayer de stabiliser la trouble région du Moyen-Orient. Ce régime joue un rôle très important en Irak (c'est le principal soutien du gouvernement central à Bagdad, soutenu par les Etats-Unis) et en Syrie (où il soutient le régime sanguinaire de Bachar al-Assad). Avec son « muslim ban » et son interdiction aux citoyens de l'Iran, Trump a commencé à dynamiter une relation laborieusement construite depuis des années. Le gouvernement iranien a déjà annoncé qu'il va bloquer l'entrée des citoyens étasuniens à son pays, un pays n'a pas tardé à lancer de nouveaux missiles d'essai.
   Enfin, Trump a déclenché des tensions avec les puissances impérialistes européennes et d'autres pays dans le monde. Le récent sommet des dirigeants de l'Union européenne a critiqué la politique du président des Etats-Unis concernant l'immigration et les réfugiés et concernant les accords commerciaux internationaux. Même l'Allemande Angela Merkel (qui peut être difficilement considérée comme « progressiste ») a déclaré que les politiques de Trump laissaient l'Europe dans une « position inconfortable ». Trump en est arrivé même à couper une conversation téléphonique avec le Premier ministre australien, parce que ce dernier critiquait sa position sur l'immigration et les réfugiés.
   Comme un fait presque risible, en Grande-Bretagne, dans le cadre d'une pétition avec un million de signatures pour que Trump n'aille pas en Angleterre pour voir la reine Elizabeth, même le Prince Charles a déclaré qu'il valait mieux que la visite n'ait pas eu lieu parce qu'elle « ferait atteinte à l'image de la reine » (sic).
   Pour comprendre le panorama, il est important de noter que la politique de Trump, bien qu'elle semble être similaire sous certains aspects à celle menée par le gouvernement de George Bush Jr. à partir de 2001, est très différente de celle-ci. Bush venait du noyau dur du Parti républicain et il représentait un secteur de dirigeants regroupés dans le projet appelé New American Century. Ce secteur considérait que le début du 21e siècle était déterminé par la compétition pour le contrôle des ressources naturelles dans le monde (principalement le pétrole) et que, si les Etats-Unis ne garantissaient pas leur hégémonie dans ce domaine, ils reculeraient en tant que puissance mondiale.
   Dans ces conditions, il était justifié et nécessaire d'utiliser des méthodes agressives et guerrières contre d'autres pays. La politique étrangère menée par Clinton et les démocrates était caractérisée comme « insuffisante » et « timide » parce qu'elle conduisait à l'affaiblissement des Etats-Unis, et il fallait la changer. C'est-à-dire, Bush et son équipe proposaient un changement de cap : mettre fin au « syndrome du Vietnam » et la politique défensive de « réaction démocratique », et passer à l'offensive, reprenant le bâton comme élément central pour affronter et vaincre le mouvement de masses dans le monde.
   Dans un premier temps (avec les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak), cette politique avait le soutien de plusieurs puissances impérialistes européennes (la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne) ; puis, suite aux résultats de plus en plus défavorables de ces guerres, ces puissances ont pris leurs distances. Trump veut, lui aussi, changer la politique de « réaction démocratique ». Ce n'est toutefois pas avec une offensive générale dans le monde, comme Bush, mais plutôt moyennant une politique qui, tout en ayant des aspects agressifs, est essentiellement isolationniste (le repli sur soi-même). Ce qui implique de rediscuter les accords internationaux de libre-échange. Il part de l'idée que « le monde a profité des Etats-Unis » et ce serait maintenant le moment de donner la priorité à la défense des Etats-Unis : « l'Amérique d'abord » et « tant pis pour les autres ».
   Pour toutes les autres puissances impérialistes, cette politique a tous les inconvénients de la politique de Bush (risque d'aggraver la situation que l'on veut résoudre) et aucun des avantages potentiels qu'elle aurait en cas de victoire. Donc, contrairement à ce qui est arrivé avec Bush, ces puissances critiquent Trump depuis le début même de son gouvernement.