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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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Cuba : ce que signifie le « jour zéro »

Depuis le 1er janvier, le gouvernement cubain a commencé à mettre en œuvre un plan économique dont la principale mesure est l'élimination de la double monnaie dans le pays : le peso non convertible et le peso convertible (échangeable contre des dollars au taux de 1=1). Désormais, il n'y aura plus qu'une seule monnaie qui sera cotée à 24 pesos pour chaque dollar, ce qui signifie une méga-dévaluation ayant de fortes répercussions sur toutes les autres variables de l'économie, en particulier sur les salaires.


Alejandro Iturbe
13 janvier 2021


La presse bourgeoise internationale, qui considère toujours la mesure comme une transition à partir d'une « économie socialiste », applaudit : une mesure, difficile mais nécessaire, pour « se mettre sur la bonne voie du capitalisme ». L'un de ces médias la décrit comme « un changement de paradigme ».i

Dans une approche apparemment opposée, les médias officiels cubains reconnaissent qu'il ne s'agit pas d'une mesure mineure, mais fondamentale : « Il ne s'agira pas de transformations superficielles. » Mais ils défendent cette mesure drastique et la considèrent comme inévitable en raison de « la pression permanente d'un blocus qui est plus que de la pure propagande », et de « l'impact de la pandémie ». Dans ce contexte, ils affirment que ces changements ont lieu dans le cadre de la Révolution de 1959 (« une Révolution pour le bien de tous ») et, par conséquent, « il y a des raisons d'être optimiste ».ii Bien que le mot « socialisme » ait disparu du texte, tout le ton de l'article transmet l'idée qu'il s'agit d'une transformation dans la continuité de ses paramètres.

Nous pensons que les deux approches sont erronées, car elles partent d'un postulat erroné : que l'économie cubaine serait encore « socialiste » à la fin de 2020. En tant que LIT-QI, en opposition à l'immense majorité de la gauche mondiale, nous affirmons depuis plus de deux décennies que le capitalisme a été restauré dans l'île.iii Dans ce cadre conceptuel, nous considérons que les mesures adoptées à partir du « jour zéro » représentent un plan d'ajustement capitaliste féroce, appliqué par le gouvernement de Miguel Díaz-Canel et le Parti communiste cubain aux travailleurs et au peuple cubains.

 

La révolution et les acquis

Pour étayer cette considération, il nous semble nécessaire de faire un bref rappel de l'histoire cubaine depuis la Révolution de 1959 qui a exproprié les entreprises impérialistes et la bourgeoisie cubaine (qui fuit alors en masse à Miami). Cuba est ainsi devenu le premier État ouvrier d'Amérique latine, dans « l'arrière-cour » même de l'impérialisme étasunien. Et Fidel Castro et Che Guevara furent les référents de millions de combattants.

Grâce à l'application de l'économie centralisée et planifiée, Cuba a cessé d'être une semi-colonie yankee et le peuple cubain a réalisé des conquêtes très importantes, comme l'élimination de la faim et de la misère et de fléaux tels que la prostitution.

Il y eut de très grandes avancées dans le domaine de l'éducation, qui était considérée comme l'une des meilleures du monde, ainsi que la création d'un excellent système de santé publique, avec le plus grand nombre, mondialement, de médecins pour mille habitants, et une industrie pharmaceutique propre, indépendante des grands conglomérats privés des puissances impérialistes.

L'ampleur de cette dernière conquête fut telle que même 25 ans après la restauration capitaliste, et après avoir été détérioré, ce système a pu vaincre le coronavirus,iv et va maintenant produire son propre vaccin pour toute la population.v

En même temps que nous revendiquons ces grandes réalisations de la révolution, il faut dire que la direction cubaine a construit un État bureaucratique selon le modèle stalinien, sans véritable démocratie pour les travailleurs et les masses. Les travailleurs cubains n'ont jamais dirigé l'État cubain, c'est la bureaucratie du parti communiste qui l'a fait.

De plus, la direction de Castro est restée dans les critères du « socialisme dans un seul pays » proposé par le stalinisme depuis la seconde moitié des années 1920, contre la révolution socialiste internationale proposée par le marxisme depuis le 19e siècle. Ce modèle stalinien a fini par échouer et, comme l'avait prévu Léon Trotsky dans son livre La Révolution trahie, a conduit à la restauration capitaliste non seulement dans l'ex-URSS, mais aussi en Europe de l'Est, en Chine et à Cuba.

Cette conception du « socialisme dans un pays » n'est pas l'objectif central de cet article, mais il faut dire qu'elle a conduit au fait que c'est la politique internationale du castrisme lui-même qui a contribué à l'isolement de la Révolution et à la survie de l'impérialisme. Par exemple, quand il a dit à la direction sandiniste en 1979 « de ne pas faire un nouveau Cuba au Nicaragua » mais de rester dans le cadre du capitalisme.vi

 

La période spéciale et la restauration

En 1990, la chute de l'URSS et la restauration capitaliste en Europe de l'Est ont porté un coup sévère à l'économie cubaine, qui était centrée sur l'exportation de sucre et son échange contre du pétrole et de la technologie avec ces pays. Dans ce contexte s'est ouverte la « période spéciale », et la direction castriste a commencé à développer une politique de restauration capitaliste et de démantèlement des bases économiques de l'État ouvrier. Les principales étapes de la restauration ont été :vii

La loi de 1995 sur les investissements étrangers qui a créé des « entreprises mixtes », gérées par des capitaux étrangers. Les investissements ont été dirigés en particulier vers le tourisme et les branches connexes, mais se sont ensuite étendus à d'autres secteurs, les produits pharmaceutiques et, récemment, le pétrole.

Le monopole de l'État sur le commerce extérieur, auparavant exercé par le ministère du commerce extérieur, a été supprimé : les entreprises publiques et mixtes peuvent négocier librement leurs exportations et leurs importations.

Le dollar est devenu, en fait, la monnaie effective de Cuba, coexistant avec deux monnaies nationales : l'une « convertible » en dollars et l'autre « non convertible ».

La production et la commercialisation de la canne à sucre ont été privatisées de fait, à travers les « unités de base de la production coopérative » (80 % de la surface cultivée). Leurs membres n'ont pas la propriété légale de la terre, mais se partagent les bénéfices obtenus. En 1994 ont commencé à fonctionner les « marchés agricoles libres », dont les prix sont déterminés par le marché.

Ce que nous venons d'analyser n'a rien à voir avec la NEP (Nouvelle Économie Politique) appliquée en URSS entre 1921 et 1928. Il s'agit d’une chose qualitativement différente, car cela a signifié la destruction de l'essence de l'État ouvrier cubain : la planification économique centralisée de l'État a été éliminée et le ministère qui l'exécutait a été dissout. À sa place, un nouvel État capitaliste est apparu, dans lequel l'économie fonctionnait selon la loi capitaliste du profit.

 

L'arrivée de l'impérialisme

La restauration capitaliste cubaine s'est faite essentiellement par le biais d'investissements étrangers, en particulier des impérialismes européen et canadien qui dominent aujourd'hui les secteurs les plus dynamiques et les plus forts de l'économie.viii Cuba perd l'autonomie, acquise avec la construction de l'État ouvrier, et entame un processus accéléré de recolonisation.

Dans le même temps, une nouvelle bourgeoisie « nationale » a émergé des appareils de l'État et du Parti communiste, essentiellement par le contrôle des conglomérats d'entreprises d'État survivantes. Au centre de ce processus se trouvait la famille Castro elle-même. Le magazine Forbes a estimé qu'au moment de sa mort, Fidel possédait une fortune de près de 900 millions de dollars.ix

La structure économique de Cuba a beaucoup changé au cours des dernières décennies : elle n'est plus basée sur le sucre et s'est concentrée sur les services, qui représentaient 73,6 % du PIB et 51 % de l'emploi en 2004.x Cette même année, les recettes en devises étrangères associées au tourisme ont presque égalé le chiffre des exportations de biens physiques (plus de 2,1 milliards de dollars). Si l'on y ajoute les revenus des médicaments et d'autres services, les services génèrent plus de 60 % des devises entrant dans le pays. Parmi ces « services », il faut compter l'« exportation temporaire » de médecins cubains hautement qualifiés, qui ont rapporté des revenus importants à l'État capitaliste cubain.xi

 

La visite d'Obama

C'est dans ce contexte qu'a alors eu lieu, en 2016, la visite du président Obama à Cuba, et son entretien avec Raul Castro. D'une part, les relations diplomatiques entre les deux pays (suspendues pendant des décennies) ont été reprises et, d'autre part, les bases ont été jetées pour éliminer le blocus commercial et d'investissement déclaré par les États-Unis en 1962.xii Cela a été présenté par les défenseurs du courant castro-chaviste comme « un triomphe de la révolution ». Cependant, sa signification réelle fut complètement différente.

Premièrement, depuis la restauration du capitalisme à Cuba, un débat intense a eu lieu au sein de la bourgeoisie impérialiste étasunienne. D'une part, il y avait la bourgeoisie gusana (anti-castriste) à Miami, avec des liens forts et beaucoup de poids au sein du Parti républicain, qui a posé deux conditions pour la reprise des relations avec Cuba (et la libération du commerce et des investissements) : la chute du régime castriste ; et la garantie de la restitution des propriétés expropriées par la Révolution.

D'autre part, divers secteurs, pour la plupart liés aux démocrates mais présent également au sein des républicains (comme le sénateur d'origine cubaine Mark Rubio, qui a participé à la visite), ont vu comment d'excellentes opportunités commerciales étaient gaspillées dans un pays si proche géographiquement, dans des domaines tels que le tourisme, la finance, la production agricole, la vente de produits industriels, etc. Des opportunités qui étaient utilisées par les pays européens (en particulier l'Espagne). En fait, certains d'entre eux « trichaient » déjà avec la législation en vigueur aux États-Unis et faisaient des investissements « camouflés » derrière des entreprises canadiennes.

En second lieu, le projet du régime castriste est de transformer Cuba en une destination pour le capital américain, un bénéficiaire semi-colonial d'importants investissements impérialistes à quelques kilomètres des côtes de Miami. Avec une partie de ces investissements consacrée au tourisme et à la santé, et une autre partie à la « zone franche industrielle » créée dans le port de Mariel en 2013.xiii Et ce processus devrait être accompli sans changer le régime politique castriste et en respectant les propriétés de ses hautes composantes, désormais au service de l'administration d'un pays capitaliste semi-colonisé.

Obama a répondu positivement à ces deux aspects. D'une part, il a dit : « Nous voulons être partenaires » (et nous savons tous ce que cela signifie dans le vocabulaire de l'impérialisme). D'autre part : « Le sort de Cuba doit être défini par les Cubains » et « nous acceptons l'existence de deux systèmes différents ». En d'autres termes, tant que la reddition de Cuba nous est garantie, nous ne remettrons pas en question le régime castriste.

 

Deux obstacles : Trump et la pandémie

Telle était la réalité et la dynamique en 2016. Depuis lors et jusqu'à aujourd'hui, deux obstacles se sont introduits dans ce plan du régime castriste. Le premier a été le triomphe de Donald Trump qui, pour maintenir l'alliance avec la bourgeoisie anticastriste vivant à Miami, a inversé la politique promue par Obama... et tout s'est figé.

D'autre part, la pandémie et les restrictions sur les voyages internationaux ont entraîné une réduction des flux de dollars entrant dans l'île par le biais du tourisme étranger. Avec cela, toute l'économie a subi un coup, une économie qui, si on y regarde bien, fonctionnait déjà avec le dollar comme monnaie réelle. Par exemple, une analyse de la BBC sur les mesures récentes indique : « Les spécialistes estiment que Cuba connaît un processus de dévaluation de sa monnaie qui accentue un comportement de plus en plus fréquent chez les Cubains : la recherche désespérée de dollars. »xiv

C'est cela la véritable raison du plan « jour zéro » : l'étranglement temporaire d'un projet de livrer le pays à l'impérialisme, par manque de dollars. Le blocus américain est un élément réel mais secondaire dans cette réalité. C'est une crise compréhensible, mais typique d'un pays capitaliste semi-colonial et non d'une « forteresse socialiste assiégée » comme le prétendent les défenseurs du régime castriste.

 

Un ajustement qui dure depuis de nombreuses années

Ce cadre nous permet de mieux comprendre le sens du plan de mesures lancé au début de cette année. Nous l'avons décrit comme un « plan d'ajustement capitaliste féroce ». Mais avant de l'analyser, nous pensons qu'il est important de souligner qu'il ne s'agit pas du premier plan d'ajustement mis en œuvre par le régime castriste depuis la restauration.

Par exemple, en 2011, un plan de licenciements massifs d'employés de l'État a commencé à être mis en œuvre : à l'époque, on estimait qu'il pourrait toucher 1 300 000 personnes.xv Depuis plusieurs années a été limité le nombre de bénéficiaires du dénommé « carnet de provisions », par lequel les Cubains pouvaient acquérir des produits de base à des prix subventionnés. Des produits qui, sans le carnet, ne pourraient être achetés qu'au marché noir à des prix beaucoup plus élevés.

Ce dernier point était essentiel, étant donné que les travailleurs cubains étaient en fait divisés en trois segments selon leur mode de rémunération. La plupart des travailleurs de l'État (et toute une partie des travailleurs des petites entreprises et du commerce privé) reçoivent des pesos non convertibles : ce sont les plus défavorisés, car les prix du « marché libre » sont fixés en dollars. Ils pouvaient survivre grâce au carnet de provisions.

Une minorité de travailleurs de l'État étaient payés en pesos convertibles et avaient donc plus facilement accès au marché noir. Beaucoup, comme un secteur de médecins, complétaient leurs revenus par des services « en noir », prestés aux étrangers qui venaient se faire soigner sur l'île. Enfin, les travailleurs liés au tourisme international (tels que les hôtels et certains restaurants) pouvaient recevoir des dollars directement des visiteurs étrangers.

Le fait est que, dans une structure salariale légalement différenciée en 32 niveaux, l'Office national des statistiques cubain lui-même a indiqué que le salaire minimum officiel, jusqu'à ces mesures, était inférieur à 20 dollars, et que le salaire moyen dans le pays était de 37 dollars.xvi

La situation de la classe ouvrière et du peuple cubain dans son ensemble s'est considérablement détériorée depuis la restauration capitaliste. Quiconque a voyagé et vu la réalité sans « œillères idéologiques » pouvait le constater. Parmi les autres fléaux capitalistes, la prostitution est de retour.

Cela se reflète également dans la littérature cubaine elle-même. Leonardo Padura, qui est devenu célèbre dans le monde entier pour son livre L'homme qui aimait les chiens, avait auparavant écrit une saga de romans mettant en scène un ancien policier qui se consacre désormais à l'achat et à la vente de livres. En eux on perçoit, derrière leurs histoires spécifiques, en décor, cette dégradation sociale.xvii

 

Le « jour zéro »

La mesure centrale de ce nouveau plan est l'unification monétaire et la légalisation de la dollarisation complète de l'économie. Comme nous l'avons dit, la nouvelle monnaie (désormais convertible) commence avec un taux de 24 pesos par dollar. Dans le même temps, une augmentation du salaire minimum est établie, qui le porterait, comme point de départ, à l'équivalent de près de 85 dollars.

Toutefois, ce qui peut sembler être une augmentation, petite mais réelle, n'en est pas une. D'une part, la liquidation complète du carnet de provisions a déjà été annoncée,xviii c'est-à-dire l'unification en un seul marché libre pour tous les produits de base. Ainsi se termine le bénéfice que ce carnet représentait pour de nombreux secteurs populaires. L'argument en faveur de cette mesure pourrait être celui de n'importe quel ministre des finances d'un gouvernement bourgeois néolibéral. Un des fonctionnaires qui ont annoncé le plan a déclaré qu'il est « très difficile de subventionner 100 % de la population, parce que de cette façon, vous protégez ceux qui contribuent et ceux qui ne contribuent pas ».

D'autre part, les spécialistes s'accordent à dire que ces mesures provoqueront une inflation de 160 %, ce qui aura un impact non seulement sur le pouvoir d'achat des salaires mais aussi, inévitablement, sur la valeur du dollar.xix Avec cette inflation et une dévaluation qui la couvre, le salaire minimum va rapidement tomber à moins de 34 dollars, maintenant sans subventions pour les produits alimentaires et de base.

Au fur et à mesure où ils cessent de parler pour tromper les travailleurs et le peuple cubain, les hauts fonctionnaires castristes commencent à dire la vérité sur le « jour zéro » : "L'augmentation des pensions et de l'aide sociale doit se faire en maintenant un minimum d'équilibre macroéconomique. ». Et comme dirait tout économiste capitaliste orthodoxe : « Le plus grand risque de financer un déficit budgétaire est l'inflationniste, parce qu'on met dans la rue de l'argent qui n'a pas été créé par l'économie réelle. »xx

Nous avons dit que le « jour zéro » était un plan d'ajustement féroce, lancé par le gouvernement Díaz-Canel avec le même objectif que ceux appliqués par d'autres gouvernements bourgeois : décharger le coût de la crise sur le dos des travailleurs. Mais il faut aller encore plus loin dans cette analyse : comme dans le cas de ces gouvernements, le plan veut jeter des bases plus stratégiques pour un projet de consolidation d'un niveau d'exploitation des travailleurs, nouveau, et plus profond, au service de la colonisation impérialiste.

Le gouvernement cubain donne toutes les garanties aux entreprises impérialistes pour exploiter les ressources de l'île, il leur offre la possibilité d'embaucher de la main-d'œuvre hautement qualifiée aux salaires les plus bas du continent. Et en passant, l'État garantit aux entreprises que ces travailleurs ne feront pas de grève ni ne formuleront de revendications, parce qu'il leur est interdit de s'organiser en dehors du PC ou des syndicats officiels. Un paradis pour les investissements impérialistes, que le régime castriste espère voir reprendre après la pandémie, et s'étendre à la bourgeoisie étasunienne, avec la perspective que Joe Biden reprenne la politique d'Obama.

 

Quel programme pour Cuba ?

Nous avons essayé de démontrer que Cuba est depuis plus de deux décennies un État capitaliste dans un processus accéléré de semi-colonisation. Dans ce cadre, son régime doit être défini comme une dictature capitaliste, sans libertés démocratiques pour les travailleurs et le peuple et avec une répression des différentes manifestations d'opposition.

Face à cette réalité, il existe essentiellement trois programmes. Celui de l'impérialisme est, comme nous l'avons vu, « d'avancer sur la bonne voie du capitalisme (colonisé) ». En ce sens, rien ne presse pour se débarrasser de l'actuel régime castriste, et les fortunes accumulées par ses hauts cadres seront respectées. Dans ce cadre, c'est surtout l'impérialisme européen qui leur demande d'ouvrir certaines « vannes d'échappement » pour empêcher que la chaudière n'explose.

Le deuxième programme est celui des défenseurs de la fable de la persistance de Cuba comme « dernier bastion du socialisme ». La conclusion est la défense inconditionnelle de tout ce que fait le régime castriste, que ce soit ce plan d'ajustement féroce, ou la répression de toutes les manifestations de l'opposition, dénoncées comme « des provocations de l'impérialisme ».

Le troisième programme est celui que nous devons avancer en tant que révolutionnaires socialistes. Il est impossible de le développer ici dans toute sa profondeur, mais nous pensons qu'il découle essentiellement de la combinaison des réponses à trois problèmes centraux : les conditions de vie de la classe ouvrière ; la colonisation impérialiste ; et le caractère dictatorial du régime.

Si l'analyse que nous avons développée est correcte (c'est-à-dire si Cuba a été transformée en un pays capitaliste en voie de colonisation économique), l'axe stratégique du programme doit être la nécessité de développer une nouvelle révolution ouvrière et socialiste dans le pays, pour reconstruire les bases de l'État ouvrier détruit par le castrisme. Dans le cadre de ce programme, la lutte contre la domination impérialiste, contre les mesures concrètes appliquées pour la faciliter, et contre ses conséquences sur le niveau de vie des travailleurs et du peuple cubain prennent une importance centrale.

Aujourd'hui, comme en 1959, la véritable tâche est de se libérer de l'impérialisme. L'indépendance cubaine obtenue avec l'État ouvrier a été perdue. Pour retrouver cette indépendance, il est aujourd'hui nécessaire de mener une nouvelle révolution sociale qui exproprie les entreprises et les capitaux européens et canadiens (et empêche l'irruption massive des étasuniens), de la même manière que, pour y parvenir, il a fallu exproprier l'impérialisme yankee et ses complices cubains, les gusanos. La différence profonde avec le processus entamé en 1959 est qu'aujourd'hui, cela signifie lutter contre les politiques du régime castriste.

Dans le même ordre d'idées, il est nécessaire de mettre à l'ordre du jour le rejet du plan d'ajustement contenu dans le jour zéro, ainsi que la revendication d'un salaire minimum qui couvre, dans son équivalent en dollars, le coût réel des produits de première nécessité d'une famille de travailleurs. Et le droit des travailleurs à former des syndicats indépendants, ainsi que le droit de grève, sont étroitement liés à cette question.

Ces deux processus nous amènent au choc avec le régime castriste et le gouvernement de Díaz-Canel, et à la lutte contre eux. Nous défendons le droit de former des partis politiques autres que le PC. Nous y incluons non seulement le droit pour les partis révolutionnaires, comme ceux qui composent la LIT-QI, mais aussi pour les organisations réformistes du genre Podemos ou Syriza. À ceux qui nous accusent de défendre les libertés aussi pour la bourgeoisie, nous répondons que la bourgeoisie impérialiste a déjà, et aura, tous les droits d'exploiter les travailleurs cubains et d'obtenir de grands profits dans le pays, en raison des accords conclus par le gouvernement castriste. Nous défendons les libertés pour tous, afin que les travailleurs puissent mieux lutter contre cette exploitation capitaliste et contre la dictature castriste. Cette lutte ne peut être menée à bien qu'avec le renversement du régime castriste, qui s'y oppose carrément.

En ce qui concerne la lutte contre la dictature et pour les libertés démocratiques pour les travailleurs et les masses, nous pouvons dire que la situation cubaine est similaire à la lutte contre d'autres dictatures capitalistes. Pour nous, la chute de ce régime par l'action des masses serait un pas en avant et ouvrirait de meilleures conditions pour la lutte stratégique pour la révolution ouvrière et socialiste.

Ces libertés ne viendront pas de la main de l'impérialisme qui, en fin de compte, préfère pour l'instant opérer par le biais du régime castriste et négocier avec lui. Ils viendront encore moins de la gusanera, les Cubains anti-castristes de Miami, expulsés lors de la révolution de 1959. C'est une lutte qui doit être intimement liée à la construction d'un nouvel État ouvrier cubain et, avec elle, à la récupération des acquis perdus ou en voie de l'être. Dans cette tâche, le régime castriste (y compris Díaz-Canel) est l'ennemi immédiat à combattre.

Cette proposition nous conduit à la nécessité d'une unité d'action avec les secteurs intermédiaires qui luttent également pour les libertés démocratiques. Par exemple, l'unité que nous avons réalisée il y a quelques années avec l'artiste plastique Tania Bruguera, qui était persécutée par le régime.xxi Ou notre solidarité, beaucoup plus récemment, avec ce que l'on a appelé « la révolution des applaudissements ».xxii Pour nous, il ne s'agit pas de secteurs contre-révolutionnaires, mais d'une revendication démocratique progressiste de secteurs de la classe moyenne, d'intellectuels et de jeunes.

 

Quelques considérations finales

Ces conclusions et ces propositions peuvent choquer la grande majorité des militants de gauche, formés à la revendication et à la défense de ce qui était autrefois le seul État ouvrier d'Amérique latine, et du prestige que les frères Castro (surtout Fidel) avaient acquis à juste titre en dirigeant cette révolution. Nous faisions partie de cette génération et nous étions de grands admirateurs et défenseurs de la révolution cubaine. Toutefois, en tant que marxistes, nos analyses et nos caractérisations ou l'élaboration de notre politique doivent être fondées sur les faits de la réalité, aussi grossiers soient-ils, et pas sur des raisons sentimentales.

Nous préférons nous baser sur deux questions présentes chez Trotsky. La première est son élaboration de La révolution trahie à laquelle nous avons déjà fait référence, qui nous permet de comprendre ce qui se passe à Cuba. L'autre est le critère exprimé dans le Programme de transition : « Dire la vérité aux masses, aussi amère soit-elle. »

 

 

ihttps://www.ambito.com/mundo/cuba/2021-ajuste-devaluacion-y-un-cambio-paradigma-n5160099

iihttps://cubasi.cu/es/noticia/editorial-sonar-una-cuba-mejor-trabajar-por-ese-sueno?fbclid=IwAR3YVZL5MmJFGlu_bWfotWs9hfT2cLbE8xj1rgDHVpCawqDdw8Lz9cbJC6w

iiiSur ce thème, voir la transcription du débat réalisé au Forum Social Mondial de Porto Alegre en 2001, entre la direction de la LIT-QI et des dirigeants cubains. <https://litci.org/es/debate-de-la-lit-ci-con-los-dirigentes-cubanos-2001/>

ivhttps://litci.org/es/por-que-cuba-logra-frenar-la-expansion-del-coronavirus/

vhttps://www.dw.com/es/una-vacuna-contra-covid-19-hecha-en-cuba/a-54609196

viSur ce thème, voir entre autres plusieurs articles dans Correo Internacional 48 (primera época), juillet 1990 et Correo Internacional 20 (tercera época), juillet 2018.

viiDonnées de l'article cité dans la note 3.

viiiEn 2005, il y avait 258 entreprises associées avec le capital étranger. Les pays les plus présents sont l'Espagne (77 entreprises), le Canada (41) et l'Italie (40). Données de l'article Empresas Extranjeras en Cuba, du journaliste Nelson Rubio.

ixhttps://www.periodicocubano.com/conoce-la-fortuna-y-vida-lujosa-que-tuvo-fidel-castro/

xEn 2006, le commerce extérieur et les entrées pour tourisme et services totalisaient près de dix milliards de dollars, un tiers de l'économie du pays. (Données de la Banque Centrale de Cuba).

xiVoir l'article de la note 4 et https://litci.org/es/menu/especial/autores/medicos-cubanos-una-conquista-de-la-revolucion-del-59/.

xiihttps://litci.org/es/sobre-la-visita-de-obama-a-cuba/

xiiihttp://www.zedmariel.com/es

xivhttps://www.bbc.com/portuguese/internacional-55516428.amp

xvhttps://elpais.com/internacional/2011/01/04/actualidad/1294095608_850215.html

xvihttps://www.dw.com/es/cuba-quintuplicar%C3%A1-el-salario-m%C3%ADnimo-como-parte-de-su-reforma-monetaria/a-55913122#:~:text=El%20ministerio%20establece%2032%20escalas,estatal%20Oficina%20Nacional%20de%20Estad%C3%ADsticas.

xviiNous recommandons sa tétralogie Las cuatro estaciones et d'autres œuvres tels que La neblina del ayer.

xviiiVoir la note 1.

xixVoir la note 1.

xxVoir la note 1.

xxiVoir plusieurs articles dans https://litci.org/es/?s=tania+bruguera

xxiiVoir les articles dans la presse :
https://www.periodismodebarrio.org/2020/12/la-revolucion-de-los-aplausos/
https://www.lavanguardia.com/internacional/20210103/6163004/revolucion-aplausos.html