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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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La grève des accompagnateurs de train de Bruxelles

Le 1er février, les accompagnateurs du dépôt de Bruxelles-Midi sont partis en grève spontanée, à une très large majorité. Ils s’opposaient à la suppression de la permanence de leur CAT (Centre Accompagnement de Train). Pour la Direction, il s’agissait de la phase 0 (phase test) du processus de restructuration et de concentration des permanences de l’ensemble du pays. Conséquence évidente de la diminution drastique de la dotation allouée au chemin de fer dans l’Accord de gouvernement, leur objectif annoncé est de supprimer 17 ETP (équivalent temps plein) et de réaliser une économie d’un million d’euros par an.
   Si le mouvement n’a pas permis jusqu’à présent de récupérer la permanence, il a renforcé la collectivité des accompagnateurs et a remis la lutte syndicale au premier plan.
   Voici une interview d’un membre du personnel roulant.

PI : Peux-tu expliquer les raisons pour lesquelles les accompagnateurs sont partis en grève ?4

Pour comprendre cela, il faut bien se rendre compte de la charge psychosociale qui existe actuellement chez les accompagnateurs. Il y a une accumulation avec le problème des agressions, celui des visites médicales, celui du « no ticket no train » (taxe fixe à bord de 7€), etc. Dans ce contexte, les accompagnateurs ont réagi sur la permanence parce que c’est plus concret pour eux. Ils savent que les gens de la permanence leur offraient un contact direct opérationnel, mais aussi un soutien moral et une béquille en cas de problème : un GSM de remplacement, l’accès à un local avec une vision sur le tableau de service, une personne à qui parler en cas d’agression, etc. Maintenant, un gars qui va se faire agresser va se retrouver tout seul au dépôt !
   Les gars de la permanence connaissaient bien le service et savaient donc agir au mieux et au plus vite lors d’une perturbation, sans en créer d’autres. Par exemple, en cas de retard d’un accompagnateur, la permanence avait une vision sur le tableau de service et sur la disponibilité des gens qu’elle pouvait contacter. Et elle nous contactait informellement pour demander si on pouvait avancer un peu son service. Avec la centralisation, il y a déjà beaucoup d’agents qui se plaignent parce qu’ils ont plus de difficultés à rentrer en contact avec nous. Il y a pleins d’exemples comme cela. D’autre part, il y a un réel manque de formation de ceux de la permanence, ils ne sont pas du roulant. Ils ne sont pas non plus parfait bilingues et certains n’ont pas la capacité suffisante pour comprendre un problème. Tout cela, ce sont des éléments qui jouent. Il faut bien se rendre compte que cette réorganisation a déjà un impact direct sur la circulation des trains, et c’est clair qu’il y aura encore plus de trains supprimés !
   La direction avance dans un dossier sans même savoir où elle va. A l’heure actuelle, elle ne propose aucun élément de discussion sur la structure, et elle tient encore moins compte du background des agents des permanences. D’expérience, je sais que même les chefs de dépôt n’ont pas la connaissance du travail réalisé par les gars des permanences, alors la direction ne sait certainement pas ce qui s’y passe. Pourtant ils font un gros travail…

C’est la première fois qu’il y a une assemblée sur mon siège de travail. […] Avant, j’avais un doute sur la solidarité réelle à Bruxelles, mais on a réussi un bon travail de mobilisation. […] C’est une très bonne base de combat !

PI : Comment le mouvement s’est-il déroulé ce matin-là ?

On est arrivé devant un fait accompli : la permanence avait été déplacée. C’était une grève spontanée suivie par plus de 90 % du personnel roulant concerné toute la journée. Dès le matin, les permanents syndicaux ont commencé à négocier avec la Direction. Quand ils sont revenus devant l’assemblée, il y avait une bonne cinquantaine d’agents. Ils nous ont expliqué qu’on nous propose de prévoir un agent de liaison. C’était tout. Il y a eu une surenchère et, toujours sans reprendre le travail, les travailleurs ont renvoyé en concertation les représentants syndicaux avec la Direction.
   Après la deuxième concertation, c’était très chaud. Les représentants de la Direction étaient dans la salle lorsque les permanents expliquaient la situation à l’assemblée, mais il a fallu les mettre dehors parce qu’ils voulaient rester pour influencer notre discussion et notre décision. A ce moment, ils nous ont vraiment montré leur détermination et ont été jusqu’à nous intimider et nous menacer d’appliquer des punitions. On est clairement devant des gens très déterminés.
   En assemblée on se rend donc compte que les pressions sont énormes, qu’il risque d’y avoir des pressions individuelles, qu’on n’est pas en démocratie. On essaie alors d’aiguiller de manière concrète le mécontentement des travailleurs. On avait des craintes pour le personnel. Il peut débrayer encore une journée, mais, premièrement, est-ce que celle-ci pourrait être encore dans le cadre d’une action émotionnelle ? Est-ce qu’elle serait si bien suivie ? Et, dernier élément, qu’est ce que cela rapporterait ? Cela n’essoufflerait-il pas le mouvement ? Le personnel voulait une bonne communication envers les usagers et nos collègues à travers le pays. Il faut qu’on leur dise que ce n’est pas qu’un déménagement, mais une restructuration qui va les toucher à terme. D’autre part, les travailleurs voulaient partir sur une action plus large, avec toujours une diffusion de l’information au grand public. Et bien sûr, ils voulaient garder leur permanence et étaient prêts à aller au finish pour cela.
   On est arrivé à canaliser le personnel qui était parti sur une grève émotionnelle, avec face à nous une direction très intransigeante. Les représentants syndicaux nous ont proposé un agenda : dépôt d’un préavis de grève pour rester dans un cadre légal, un feedback de concertation dans une commission paritaire qui avait lieu le 6 février. Le 7, le permanent est revenu sur le lieu de travail pour présenter l’évolution du dossier. Lors de cette deuxième assemblée, il restait une bonne trentaine d’affiliés et il y avait quatre ou cinq gars très déterminés qui poussaient les autres accompagnateurs.

PI : Quelles étaient tes impressions de cette journée ?

C’est la première fois qu’il y a une assemblée sur mon siège de travail. Je n’avais jamais vu ça. Les agents voulaient clairement débrayer jusqu’au finish : récupérer la permanence ! C’était vraiment la volonté et la revendication du personnel, qui est toujours d’actualité. En ce qui me concerne, j’ai été très impressionné. Avant, j’avais un doute sur la solidarité réelle à Bruxelles, mais on a réussi un bon travail de mobilisation. Les collègues ont pris l’initiative de prendre le tableau de service et ont appelé chacun un numéro pour expliquer aux autres gars qu’on était en grève et leur demander d’essayer de venir si possible. Les gens ont vraiment travaillé de concert. Il y avait vraiment une solidarité incroyable. J’ai été franchement très impressionné. C’est une très bonne base de combat !

PI : Y a-t-il eu un soutien d’accompagnateurs d’autres régions ?

Il y a un certain terreau, des délégués d’autres régions nous posent des questions, mais le 1er février il n’y en a aucun qui est parti en mouvement de solidarité. Pourquoi ? Parce que tu n’as pas un préavis des organisations syndicales. Qu’est-ce que la « grève émotionnelle » ? Elle doit être restreinte dans le temps et géographiquement. Bruxelles est touché par une phase 0, mais pas encore Arlon. Je pense qu’il n’y a pas encore une base assez combative pour que des délégués puissent argumenter en faveur du suivi du mouvement. Cela dépend de la combativité des délégués locaux et de leur réseau.

PI : Qu’en était-il des résultats de la concertation prévue ?

Concrètement, dans la concertation, on n’avance pas. La direction reste sur ses positions. Elle ne prétend négocier qu’après une phase dite de test. En plus, elle disait vouloir rentrer en concertation avec le « personnel concerné ». D’une part, elle devrait négocier avec les organisations reconnues (CSC et CGSP), d’autre part, elle considérait seulement les gars des permanences. Ce n’est pas correct. Ils sont bien sûr concernés, mais c’est le personnel roulant, dépendant de ce service fourni, qui est vraiment touché. Donc à l’heure actuelle, il n’y a toujours pas eu de concertation.
   A ce sujet je ne me fais plus aucune illusion, je n’ai pas l’impression que ça évolue. Aujourd’hui on est face à un management très intransigeant, je le répète. Ils ont une vision managériale à fond de balle, ils n’en ont rien à foutre des gens et vont aller au clash. Pour moi, on n’arrivera plus à la concertation. C’est le bras de fer.
   Par contre, sur le siège de travail de Bruxelles, la mobilisation est très forte. Mes collègues cherchent l’information, ils n’attendent qu’un mot d’ordre de grève. Ils sont unis et prêts à bouger et cela en front commun. Même les affiliés n’en ont rien à foutre qu’on soit de la CSC ou de la CGSP. Et il y a aussi un front commun linguistique. Parfois, sur certains sites de travail, il y a des divergences entre francophones et néerlandophones, mais ici cela a complètement disparu.

Il faut un meilleur rapport de force, mais ça ne se crée pas du jour au lendemain. Ces dernières années le syndicat s’est discrédité auprès de la base, il faut reconquérir la confiance des affiliés. Il faut clairement mobiliser les gens.

PI : Quel est l’état d’esprit des accompagnateurs suite à la grève ?

Le personnel vit cette restructuration tous les jours et est confronté à une permanence fermée. Donc de leur point de vue, ils n’ont pas obtenu gain de cause. Mais d’un autre côté la conscience est là. Et les éléments journaliers qui mettent en évidence le dysfonctionnement du service apportent de l’eau à notre moulin. Les agents sont conscients qu’on a fait une grève contre ça. Depuis lors, les gens se tiennent informés, il y a une bonne base pour la discussion. Maintenant les gens parlent du syndicat ! C’est un truc qui n’existait plus. La conscience a clairement grandit, aussi au niveau du terrain. Les gens posent des questions, même depuis d’autres régions du pays. Je partirais sur un bilan positif parce que la conscience a évolué.

PI : Qu’en est-il finalement des menaces de punition ?

Le jour de la grève, lors de la 2ème assemblée, la Direction nous disait que c’est une grève émotionnelle et nous a menacés d’une réprimande sévère et de 12,50°€ sur nos primes. Des travailleurs, même pas des délégués, ont répliqué et ont enchéri : s’il y a des punitions, on débraye ! C’est aussi la position de la CGSP Bruxelles encore aujourd’hui. Il y a une volonté syndicale de créer directement un soutien au-delà de Bruxelles s’il y a une tentative de les appliquer. S’ils le font, ils mettent le feu aux poudres. A l’heure actuelle, c’est donc gelé. Je pense qu’ils avaient utilisé cette menace comme stratégie pour s’éloigner du vrai débat. Ils voulaient concentrer notre énergie à devoir nous justifier plutôt que de discuter et d’expliquer réellement le problème de la restructuration.

PI : Comment envisages-tu ton combat syndical ?

Certains au niveau du National croient toujours en la concertation. Je sens qu’ils ont peur de leur base et maintiennent mordicus qu’il faut vraiment une concertation pour en finir avec cette restructuration, en faisant « au mieux ». Ils accompagnent les réformes, ils arrondissent les angles. Ils ne sont heureusement pas tous comme ça, mais certains oui. Et il faut qu’on combatte dans les instances contre cela.
   Il faut un meilleur rapport de force, mais ça ne se crée pas du jour au lendemain. Ces dernières années, le syndicat s’est discrédité auprès de la base. Il faut reconquérir la confiance des affiliés. Il faut clairement mobiliser les gens.

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