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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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Le 28 avril 2020

action vache bleue.jpg Témoignage d'un délégué : « Redoublons de vigilance ! »

Au lendemain de la conférence de presse du conseil de sécurité du 24 avril, nous avons demandé à Hassan Elka, délégué Fgtb à l’usine de fromage Vache Bleue, de revenir sur la dernière période dans l’usine et sur les actions qu’ils ont dû mener pour garantir la sécurité et les droits des travailleurs.


Hassan : Dès que la crise du Corona est arrivée, nous avons été très vigilants au sein de la délégation. On a demandé une réunion avec la direction et on leur a fait prendre conscience que venir travailler dans des conditions pareilles cela devient un risque énorme et qu'il faut mettre en place les protections nécessaires :

  1. La distanciation sociale, nous l'avons mise en place avant l'annonce du gouvernement,
  2. la mise à disposition de produits désinfectants a été immédiate, avant que cela soit médiatisé.
  3. Il y a eu une distribution de gel désinfectant avec possibilité de réapprovisionner le flacon pour tous les travailleurs. Le port du masque bien évidemment, c'est une chose que l'on fait déjà à la base étant dans le secteur de l'alimentation. Le port du masque et l'hygiène des mains a été accentué.

Dans un deuxième temps, on a interdit l'accès aux bâtiments aux chauffeurs externes et donc la direction à du engagé deux autres personnes, rien que pour décharger. Les chauffeurs externes arrivent, ils donnent les papiers à travers le carreau et c'est le personnel Vache Bleue lui-même qui s'occupe de décharger et charger la marchandise. Et on remet au chauffeur les documents signés, toujours à travers la fenêtre de son véhicule.

En Lutte : Ce sont des mesures que vous avez proposées ou cela est venu de la direction de l'entreprise ?

H : comme indiqué ci-dessus la délégation n’a pas attendu les recommandations du gouvernement qui obligent les employeurs à prendre des mesures protectrices,nous avons pris les devants et exigé la mise en place de ces dernières.
Ceci demande la mobilisation de moyens financiers et humains supplémentaires et forcément tout ceci coûte de l’argent a l’entreprise. À titre d’exemple rien que les flacons représentent un investissement de 3500 €. Mais partant du principe que la santé des travailleurs n’a pas de prix et qu’il hors de question que les travailleurs perdent leur vie en essayant de la gagner, la direction a mis tout en œuvre pour assurer la sécurité de ses collaborateurs, après tout c’est son devoir de le faire. Un travail pédagogique et de conscientisation ont vu le jour par le biais d’affichage de mesures de sécurité partout, des messages audiovisuels sur des écrans installés dans les réfectoires. L'usine tourne à 100%, 24h sur 24. La production à augmenté de 30% vu la demande dans les supermarchés par exemple. Il y a des commandes qu’on ne prend plus ! On a modifié les horaires pour éviter que les équipes se croisent. Comme on travaille par trois pauses, cela permet aux deux équipes de ne pas se croiser. On a décalé les horaires d'une demi-heure comme cela les équipes peuvent se changer et partir avant l'arrivée des autres collègues dans les vestiaires.

EL : Peux-tu nous parler des primes supplémentaires que vous avez obtenues ?

H : Dans un premier temps il y a eu quelques cas suspects, qui se sont avérés négatifs fort heureusement. Mais à ce moment c'était des " cas COVID " et il y a eu l'instauration du chomage économique. Nous avons demandé que la direction verse les 30% restant de sorte que le travailleur ne paie pas. Ensuite, étant donné que la direction va chercher 70% de l'argent de la collectivité on a dit : « ok, c'est bien que tu donnes les 30%, mais pour qu'on soit dans un plan win-win, il faut qu'on soit dans un rapport 50-50. » Du coup, on a été cherché 20% supplémentaire dans la poche du patron qu'il redistribuera en primes pour les gens qui sont présents. Ça, c'est dans la première phase. Ensuite, on a demandé une prime journalière, pour les gens qui sont présents. On a négocié et au début cela à un peu foiré. Donc, on a lancé un préavis de grève avec blocage immédiat et on est arrivé, après de longues négociations jusqu’à 22h, à ce que la direction octroie 11 euros par jours de présence.

EL : Peux-tu me parler de votre action du 21 mars ?

H : C'était une action suite à un licenciement d'un intérimaire, un chauffeur du département transport. C'était un licenciement injustifié et en en réalité c'est la goutte qui a fait débordé le vase, car c'est un département où, depuis des années et il y a des rapports du CPPT qui en atteste -bien avant mon arrivée dans la délégation, les responsables sont connus pour être des pervers narcissiques qui harcèlent en permanence les chauffeurs. On a même des cas de racisme, des propos racistes avérés. Vu qu'ils ont licencié ce travailleur qui est d'origine étrangère sans raison valable, on a décidé de mettre le piquet, car on voit bien que la direction ne répondait pas aux appels de la délégation. On disait: « il faudra prendre des mesures au sujet de ce harcèlement permanent ». Dans le département transport, il y a énormément de démissions. Donc là on a décidé de mettre un piquet directement. On va dire que c'est une " grève émotionnelle ". Donc un piquet surprise. On a bloqué la sortie des camions et on a bloqué la production aussi. Tous les collègues de tous les départements ont été solidaires. Il faut savoir qu'on a 4 départements et tous étaient avec nous. Ce jour-là, toutes les composantes du site étaient à l'arrêt. On a exigé sa réintégration avec un CDI et on a obtenu que la direction paie son permis (CE) comme dommage et intérêt vu le traitement qu'il lui a été réservé. Par ce gars a quand même subi un licenciement abusif et la réponse de son responsable, ce qui moi et mon camarade Jean-Jacques nous à mis en rogne, a été : « Toi t'es qu'un intérimaire et je fais ce que je veux de toi ». Cette phrase-là, nous a un choqué, et pas qu'un peu. On a décidé de passer à l'action et on a exigé sa réintégration, mais en CDI. Et on a exigé que l'entreprise lui paie le permis CE, pour les gros camions. Et cela été accepté. Sans ça, on n’aurait pas levé le piquet.

EL : Et les responsables en question ?

H : Là on attaque. Nous avons exigé des réunions. Mais finies les réunions bilatérales entre les responsables et la direction où après la direction vient nous donner sa version. Nous voulons être partie prenante de la réunion et nous avons convoqué tous les chauffeurs, donc les premières victimes, pour qu’ils y assistent. Mais avec les mesures de confinement, on doit trouver une date pour une salle assez grande pour l'organiser. Mais on sait que des mesures sont déjà prises. Les responsables en question ont l'interdiction de s'adresser aux chauffeurs, ce qui est déjà une bonne chose parce que les chauffeurs avaient droit aux insultes tous les matins. On leur a retiré des responsabilités. Ils sont responsables administratifs, mais n'ont aucun ordre à donner aux chauffeurs. En attendant que l'on puisse analyser la situation, car les chauffeurs ont des preuves, tout comme nous à la délégation, pour amener la direction à prendre ses responsabilités qui est de protéger les travailleurs de ce genre de comportements et de traitements.

EL : Que penses-tu de l'annonce du gouvernement du déconfinement ?

H : Tel que je l'ai perçu, le déconfinement montre que le gouvernement est parti vers une stratégie d'immunité collective, comme celle adoptée par les Pays-Bas en la Grande-Bretagne dans un premier temps, avec toutes les conséquences qu'on connait, sans pour autant assumer ce choix. Je trouve cela criminel et irresponsable. Je crois qu'il va falloir demander des comptes car j'appréhende, sincèrement je ne souhaite pas, l'arrivée d'une deuxième vague si on laisse le déconfinement tel qu'il est décidé. D'autant plus que le gouvernement est tellement vague et imprécis dans ces déclarations, que personne ne s'y retrouve. Dans la déclaration, on à mis en avant que l'économique, pas un mot sur le "social" pourtant j'ai bien cherché. C'est encore plus capitaliste qu'avant la crise. Quand on voit aussi le rôle des médias qui ont bien fait leur job en préparant pendant trois heures les gens à la déclaration, et tout était mis en place pour nous préparer au déconfinement dans le chaos. Dans un ou deux mois on va ressentir les résultats, il n'y a qu'a voir la Chine qui est revenue sur ses décisions, car ils ont déconfinés et le taux d'infection à augmenté. Ca les médias n’en parlent pas, mais il faut aller dans les médias alternatifs. Comment peut-on justifier 300 morts par jour en Belgique qui compte 11 millions d'habitants ? C'est énorme ! Statistiquement, on dépasse l'Espagne et l'Italie. Comment peut-on banaliser cela ? Et la Première ministre dans son amateurisme frôle le trumpisme qui prône de s'injecter du désinfectant. Elle nous dit de mettre une écharpe alors qu'on sait pertinemment qu'une écharpe n'est pas efficace. Il va falloir demander des comptes.

EL : Que penses-tu des réactions syndicales ?

H : Je regrette les déclarations de Marie-Hélène Ska et de Robert Verteneuil, pour ne citer qu'eux, après l'annonce du gouvernement. Ils disaient : « il faut mettre des choses en place, garantir que les travailleurs et les travailleuses ne courent pas un risque ». Mais je leur pose la question à ces deux syndicalistes : « depuis quand on peut faire confiance aux organisations patronales et à leurs garanties ? ». Le premier qui a annoncé sa satisfaction c'est le patron de la FEB, Pieter Tiemermans, car son plan à marché. Moi je trouve qu'il n'y a pas eu de réaction syndicale digne de ce nom. Je trouve que les plus malheureux dans cette histoire ce sont les travailleurs des petites PME où il n'y a pas de représentation syndicale assez forte, les gens qui travaillent dans des milieux sans syndicats. Là , on peut se demander à quelle sauce ils vont être mangés. Je trouve que la réaction syndicale est assez molle comme à son habitude, rien de surprenant. Mais même pendant la crise, quand j'ai vu comment on a saucissonné les luttes. On a mené des négociations dans des gros mastodontes, Aldi, Carrefour, au lieu de réclamer des mesures pour tous et que la lutte pour être protégés soit interprofessionnelle. Au lieu de ça on entend : « on a obtenu ça chez Colruyt, on a obtenu ça chez Aldi... » Mais les autres ? Vous ne négociez pas pour eux ? Ils sont mis de côté. C'est chaque fois la même erreur et en plus on présente cela comme une victoire syndicale. Il ne faut pas saucissonner la lutte. Un travailleur c'est un travailleur, que cela soit dans le secteur privé ou public. Les mesures doivent toutes les mêmes, la lutte doit être la même. Et ça je trouve cela déplorable.

EL : Veux-tu ajouter quelque chose ?

H : J'incite toutes les délégations, dans n'importe quel secteur, public ou privé, à redoubler de vigilance et à ne pas rentrer dans le discours patronal qui dit que « sans production, on est tous en faillite ». Non ! En fait, ce n'est que leur profit qui va un peu diminuer. Ne vous inquiétez pas pour eux! Et l'argent qu'ils ont perdu, c'est dans nos poches qu'on va venir le rechercher si on ne se réveille pas. Soyons vigilants, restons unis, restons solidaires. Le déconfinement d'accord, mais pas à n'importe quel prix.