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Ligue Communiste des Travailleurs

Section belge de la Ligue Internationale des Travailleurs -
Quatrième Internationale (LIT-QI)

« L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes. » K. Marx

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septembre 2011

Victoire ou défaite des masses ?

La façon dont le régime de Kadhafi est tombé est très contradictoire. C'est une combinaison d'un soulèvement populaire armé avec une intervention militaire de l'impérialisme. Cette situation complexe est une source de grande confusion et de controverse importante au sein de la gauche mondiale.
    Le principal débat se situe sur la question de définir le vainqueur et le perdant en Libye. Il est évident que Kadhafi a perdu. Ceci dit, la question qui se pose est de définir si sa chute a été une victoire des masses ou une victoire de l'impérialisme ? Ce qui est arrivé, est-ce progressiste ou régressif pour l'avancement de la révolution mondiale en Libye et dans le monde arabe ? De la réponse que nous y donnons dépend la politique que les révolutionnaires doivent défendre pour approfondir le processus révolutionnaire indéniable qui s'est ouvert dans cette région, l'un des centres actuels de la révolution mondiale.

La grandiloquence ne suffit pas

De la vaste gamme des positions, il y en a une qui sort du lot par son apparente « originalité ». Nous parlons de celle défendue par la dénommée Fraction Trotskyste (FT), avec à sa tête le PTS argentin.
   Ce courant aime bien les expressions grandiloquentes pour envisager une controverse. Pour eux, notre position - selon laquelle la chute de Kadhafi est une immense victoire politique et militaire des masses libyennes et un triomphe démocratique qui renforce et promeut l'ensemble du processus révolutionnaire arabe - se résume en descriptions « scandaleuses » et mène à des conclusions « de plus en plus éloignées d'une stratégie révolutionnaire », qui ont le défaut d'une « absence de toute vision stratégique de classe ».
   Il est probable qu'ils croient que la simple emphase permet de « gagner » une discussion. Mais la question n'est pas si facile. Le marxisme nous enseigne que, pour caractériser une situation particulière et définir une politique révolutionnaire, il faut, avant tout, une analyse rigoureuse des faits.

Pour commencer... une calomnie

La FT-PTS affirme que, pour la LIT-QI, « l'unité d'action entre les masses et l'impérialisme est progressiste »1. Il y a lieu d'avertir sur la méthode calomnieuse utilisée par les camarades, car nous n'avons jamais prétendu cela. Depuis le début du conflit en Libye, nous nous sommes opposés fermement à l'intervention de l'impérialisme, avec l'OTAN et l'ONU. Notre position a été et reste inflexible : Non à l'OTAN ! A bas Kadhafi !
   En politique, une unité d'action est un accord. Le fait de le défendre ou de le réaliser implique un appel et des exigences dans le contexte de cette unité. La LIT-QI n'a jamais appelé l'impérialisme à faire une unité d'action avec les masses pour renverser Kadhafi. Une autre chose est que, de fait, cette unité a existé dans le domaine militaire.
    Nous ne pouvons pas nier ce fait qui est indépendant de notre volonté. Comme marxistes, en politique, nous devons voir ce qu'il se passe dans la réalité, et non pas ce que nous voulons qu'il se passe. La chose importante est de comprendre pourquoi l'impérialisme a été dans le même camp militaire que celui des rebelles. Pour cela, il faut s'en tenir aux faits.

La façon dont l'impérialisme est intervenu

Pour comprendre les raisons et la forme de l'intervention impérialiste, nous devons d'abord comprendre la nature de la révolution elle-même. En Libye, nous assistons à une révolution contre l'impérialisme, une révolution populaire armée qui touche directement ses intérêts politiques et économiques. Elle est anti-impérialiste, comme en Egypte et en Tunisie, parce que les masses ont remis en question et ont renversé Mouammar Kadhafi, un des agents clefs de l'impérialisme en Libye et dans la région. Ce dictateur a abandonné, au moins depuis une décennie, tout type d'action ou de posture nationaliste ou anti-impérialiste (qui le caractérisaient entre 1970 et 1990) et il est devenu un fidèle serviteur de Washington et des puissances européennes.
    S'il y avait encore des doutes, la fable de son « anti-impérialisme » a définitivement été démasquée avec la découverte de documents prouvant la collaboration secrète entre son régime et les puissances impérialistes. Les documents montrent que, en plus du bradage du pétrole et de la souveraineté, il y avait une sinistre division de tâches entre la dictature libyenne et les agences de renseignement impérialistes (la CIA et le MI-6 britannique) dans la « guerre contre le terrorisme » de Bush et la détention d'opposants au pouvoir à Tripoli (voir encadré). Il est absurde de soutenir que Kadhafi était « anti-impérialiste ». Pourquoi l'impérialisme travaillerait-il de cette façon en collaboration avec un prétendu « ennemi » de ses intérêts ? La vérité est que Kadhafi était « son homme » en Libye, et que le régime du colonel faisait partie du système de dictatures féroces qui agissaient en soutien à ses plans au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Kadhafi n'était pas moins l'agent de l'impérialisme que Moubarak et Ben Ali. Sa chute est donc une grande victoire sur l'impérialisme.
    Ensuite se pose la question : Pourquoi l'impérialisme est-il intervenu militairement dans le camp des rebelles pour renverser Kadhafi, si ce dernier était « son homme » ? La réponse est simple : à cause de la révolution en Libye et dans le monde arabe, à cause du soulèvement armé et de l'aggravation de la guerre civile, un élément clef dans l'analyse de la situation politique en Libye. Dans un premier temps, l'impérialisme a soutenu Kadhafi, puis il a fait pression pour que ce dernier négocie une issue, ce que celui-ci a constamment rejeté. L'impérialisme a donc été forcé d'agir contre son propre agent, qui s'est avéré être absolument incapable dans la tâche de contenir et de vaincre le processus révolutionnaire. L’impérialisme est intervenu, non parce que Kadhafi était « anti-impérialiste », mais parce que, comme agent, il était devenu inutile pour arrêter l'insurrection.
   L'impérialisme est pragmatique et il a toujours été intéressé à vaincre la révolution. Son but était ici d’éviter que le magnifique exemple libyen se propage et verse davantage d'huile sur le brasier arabe, afin de rétablir le contrôle du flux normal de pétrole qui s'était arrêté avec la guerre civile. En ce sens, le maintien ou non de ses agents est tactique. Ce sont des « fusibles », que l'on change s'ils ne servent plus.
   Un autre élément a été la grande contradiction de l'impérialisme de ne pas pouvoir envoyer ses propres troupes au sol. Avec la crise économique et politique en son sein, et la poudrière dans le monde arabe, l'impérialisme ne peut pas s'aventurer dans une autre guerre maintenant. Il a donc été obligé de se placer dans le camp militaire rebelle. Ne voir que l'intervention impérialiste, c'est ignorer l'autre guerre, la guerre civile que le peuple a commencée contre Kadhafi, bien avant l'entrée en scène de l'OTAN. L'élément qualitatif de tout le processus est la révolution populaire en cours, dans le pays et dans le monde arabe.
    L'unité d'action militaire a donc eu lieu dans la réalité. Personne ne dit que cela est progressiste. Au contraire, c'est une énorme contradiction qui génère beaucoup de confusion dans les rangs de la gauche et qui a mis l'impérialisme dans de meilleures conditions pour entamer la tentative de démanteler la révolution libyenne.
    Ce qui est absolument erroné de la part de la FT-PTS, c'est de nier, en raison de l'intervention impérialiste, l'ensemble du processus révolutionnaire en Libye et la conquête énorme et historique des masses d’avoir renversé le régime sanguinaire de Kadhafi et de frapper, du même coup, durement l'impérialisme.

Troupes au sol de l'OTAN ?

La conclusion de la FT-PTS sur le renversement de Kadhafi est frappante : « L'essence politique derrière l'apparence des ''rebelles'' qui célèbrent, les armes à la main, la chute du régime de Kadhafi, est que, dans les conditions dans lesquelles cette chute a eu lieu, il ne s'agit pas d'une première victoire du processus révolutionnaire, mais d'un triomphe de la politique impérialiste sur la progression du ''printemps arabe''. »2
    Ce qui est arrivé serait « un triomphe de la politique des puissances impérialistes [...] qui ont mené une intervention militaire pour s'assurer l'émergence d'un gouvernement encore plus pro-impérialiste que celui de Kadhafi »3, comme si tout avait été planifié magistralement par l'impérialisme.
    En accord avec cette caractérisation, ils font une accusation grave contre le peuple en armes : « Bien que les images de la télévision montrent des milices locales plutôt que des soldats étasuniens, entrant dans le quartier de Bab al Aziziya et renversant les statues de Kadhafi, les forces ''rebelles'' qui ont pris Tripoli ont agi comme des ''troupes au sol'' des bombardements de l'OTAN, avec une direction en collaboration complète avec les grandes puissances. »4
   Est-il vrai que tout a été l'œuvre de l'impérialisme et du CNT, et que le peuple en armes qui est entré à Tripoli et a pris d'assaut le palais de Kadhafi se composait de simples marionnettes qui ont agi comme « troupes au sol » de l'OTAN ? Pas du tout. Le problème est que la FT-PTS n'est pas intéressée par l'action des masses, sous-estime celles-ci complètement et les méprise même. Pour ces analystes, cela n'a aucune valeur que les masses se soient armées, qu’elles se soient affrontées à l'armée bourgeoise, qu’elles l'aient divisée et détruite, qu'elles aient tué et que des milliers de personnes soient mortes pour renverser une tyrannie cruelle. Le mépris total envers le sacrifice du peuple libyen est éloquent et est une offense : pour cette organisation, cela n'a aucune valeur. Le facteur déterminant, le seul qu'ils recueillent de la réalité avec une valeur absolue, est l'intervention de l'impérialisme et la traîtrise du « nouveau gouvernement » de la Libye. Cela est suffisant pour déclarer la défaite et la mort du processus révolutionnaire.
    Pour eux, depuis le moment où l'impérialisme est intervenu, le processus passe automatiquement de « progressiste » à « régressif ». Les masses qui ont risqué leurs vies sont devenues, comme par magie, des « troupes au sol » de l'impérialisme. L'accusation est très grave : cela signifie que tout ce peuple soulevé est maintenant une partie organique du commandement militaire de l'impérialisme, et y est consciemment discipliné. Les masses sont dépeintes comme de simples marionnettes, comme un troupeau de moutons dociles de l'impérialisme et du CNT, alors que ce sont ses actions qui sont en train de renverser tout ce qui peut être associé à la stabilité de l'ordre bourgeois en Libye !

De quel côté sommes-nous ?

Développons cette position des camarades jusqu'au bout. Dans une guerre civile, il n'est pas possible d'être au milieu. Il faut avoir une localisation précise du point de vue militaire (sinon, soit on rentre à la maison soit on reçoit des coups des deux côtés). Sur base de ce principe, de quel côté la FT-PTS se situerait-elle au moment où le peuple armé entre d'assaut à Tripoli et fait face aux forces de Kadhafi ? Si, comme elle le soutient, les combattants armés libyens ne sont que « des soldats de l'impérialisme », « des troupes au sol » de l'OTAN (une division du travail dans laquelle l'organisme impérialiste attaque par l'espace aérien et les rebelles au sol) et si, d'autre part, la FT-PTS est contre l'OTAN et contre les rebelles (« soldats impérialistes »), alors elle se situe dans le camp militaire de Kadhafi. Encore plus quand ils disent que le résultat de tout cela serait « un gouvernement encore plus pro-impérialiste que celui de Kadhafi ». Pour eux, Kadhafi serait le « moindre mal ».
    Si les rebelles sont « des troupes au sol » de l'impérialisme, alors nous devrions avoir célébré chaque combattant tué par Kadhafi, avec qui nous devrions faire une unité d'action militaire pour défendre Tripoli et combattre jusqu'à l'expulsion de l'impérialisme.
    Si l'on donne du crédit à la cohérence de ces camarades, la question se pose alors de savoir pourquoi ils affirment que « des doutes planent sur la capacité qu'aurait le Conseil national de transition (CNT) de parvenir à mettre sur pieds un nouveau gouvernement tant soit peu stable ».5 Pourquoi devrait-il y avoir des doutes concernant la stabilité future du « nouveau gouvernement », si ce qui existe en Libye sont « des troupes au sol » de l'impérialisme qui, en outre, sont centralisées sous « la direction totale et rigoureuse » du CNT ? Tout devrait être en ordre.
    Le fait est que la réalité est le contraire de ce qu'ils disent. Le CNT et l'impérialisme savent qu'ils auront beaucoup de problèmes pour pacifier et désarmer les masses parce qu'il y a un processus révolutionnaire qui avance et qui a obtenu une impressionnante conquête démocratique, dans laquelle le peuple se sent victorieux. Le CNT et l'impérialisme sont dans un grand paradoxe parce qu'ils ne sont pas en mesure de placer leurs propres troupes et qu'ils se trouvent au milieu d'une révolution en marche. Le CNT, non seulement, ne centralise pas toutes les milices, mais il n’a en outre ni l'autorité ni la force nécessaire pour désarmer facilement les masses. Voilà la préoccupation principale de l'impérialisme, du CNT et des autres bourgeoisies arabes.

Le signe égal entre le processus d'en bas et les directions 

Les camarades commettent une grave erreur conceptuelle : confondre les processus sociaux avec leurs directions politiques, ce qui est étranger au marxisme. En Libye, ils placent un signe égal entre ce qu'il y a de plus vif, riche et puissant dans le processus révolutionnaire (l'action impressionnante des masses) et sa direction politique réactionnaire. Ils raisonnent de façon mécanique et donc antimarxiste. Ils absolutisent la contradiction du processus (l'intervention impérialiste et la direction traîtresse du CNT).
    Pour soutenir la lutte des masses, la FT-PTS exige « une direction marxiste révolutionnaire qui mène consciemment le processus de la réussite », « un programme consciemment anti-impérialiste... ». A la base, il y a un argument idéaliste : étant donné que mon idée de la Révolution d'Octobre « pure » n'a pas eu lieu dans la réalité, alors il n'y a pas eu de conquête des masses ni de révolution ; tout a été un désastre, une défaite. La réalité est celle que nous voudrions bien qu'elle soit. Si ce n'est pas le cas, nous l'adaptons à nos désirs. En raisonnant ainsi, la FT-PTS doit s'opposer à tous les processus révolutionnaires arabes, puisque dans tous, d'une manière ou d'une autre, l'impérialisme est intervenu ou interviendra, et il n'y a pas de direction marxiste révolutionnaire pour guider les actions des masses.
    La FT-PTS devrait commencer par une rectification et nier la victoire démocratique en Egypte, puisque la chute de Moubarak a été convenue entre l'impérialisme et la direction d'une armée financée et contrôlée par lui. La réalité est qu'il est tombé parce qu'il y avait un processus de mobilisation très fort qui a obligé l'impérialisme, après avoir défendu le dictateur, à forcer la sortie de ce dernier pour calmer le processus révolutionnaire. Ou alors, l'impérialisme a-t-il voulu que ces mobilisations aient lieu ? La chute de Moubarak n'a pas été une victoire spectaculaire des mouvements populaires, parce que l'impérialisme y est intervenu ? Devons-nous étiqueter les masses d'« agents de l'impérialisme » parce que ce dernier est intervenu ? La chute de Moubarak, l'épine dorsale d'une dictature pro-impérialiste, met-elle les masses dans des conditions meilleures ou pires pour avancer vers de plus grandes conquêtes et vers le socialisme lui-même ? Pour nous, dans des conditions meilleures, pour la FT-PTS, dans des conditions pires, puisque tout serait l'œuvre de l'impérialisme.
    De même, si la FT-PTS est cohérente avec son affirmation concernant la Libye, elle doit dire qu'à Cuba, il n'y a jamais eu de révolution. La guérilla de Fidel Castro, avait-elle « une direction marxiste révolutionnaire » avec « un programme d'action consciemment anti-impérialiste » ? Cela n'a jamais été le cas. Au contraire, la guérilla de Fidel Castro a été financée par des secteurs de la bourgeoisie cubaine, et des enquêtes récentes sérieuses, comme celle de Jon Lee Anderson, un partisan de la révolution cubaine, indiquent que l'impérialisme aussi aurait apporté une aide financière, par le biais de la CIA. L'impérialisme a soutenu Fidel contre Batista et l'a considéré comme un allié, au point que le premier voyage de Fidel après la prise du pouvoir avait Washington comme destination. Est-ce pour cela que nous pouvons dire qu'à Cuba, il n'y a pas eu de révolution ? La FT-PTS devrait dire que tout ce qui s'est passé sur l'île des Caraïbes depuis 1959 a été un vaste plan de l'impérialisme. Mais elle ne dit et ne dira pas cela, démontrant ainsi son incohérence théorique et politique. Ce fut à tel point une révolution que, pour elle, Cuba est toujours un « Etat ouvrier bureaucratisé ».
    Voyons le cas de la révolution de février 1917 en Russie, pratiquement spontanée et inconsciente, qui finit par donner le pouvoir au prince Lvov. Dans le processus, l'impérialisme allemand a fait tout son possible pour hâter la chute du tsar (y compris en appuyant le retour de Lénine en Russie). Pour tous ces éléments, les révolutionnaires ont-ils refusé d'analyser le renversement du tsar comme un élément qualitatif qui a permis la Révolution d'octobre ?
    Si les camarades étaient cohérents avec ce qu'ils affirment concernant la Libye, il n'y aurait là pas non plus une révolution, une conquête démocratique des masses. Qui plus est, s'ils avaient été à Petrograd en février-mars 1917, ils auraient certainement soutenu le discours des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires, qui accusait tous ceux qui critiquaient le gouvernement provisoire bourgeois, surtout Lénine et les bolcheviks, d'« agents de l'impérialisme allemand » (quelque chose comme ses « troupes au sol »).

La raison sous-jacente

Il y a une raison sous-jacente pour nier l'énorme victoire démocratique du peuple libyen et la diluer dans une « victoire incontestée de l'impérialisme », une raison que les camarades cachent, d'une façon pas très honnête.
    Avant la chute de Kadhafi, ils posent un cadre théorique et politique qui soutient leur position : « A ce stade des événements — avec les grandes expériences que le mouvement ouvrier a vécues au cours du XXe siècle, sans aller plus loin, avec le résultat des soulèvements de 1989-1990 contre les régimes staliniens qui ont finalement eu des directions qui ont conduit à la restauration du capitalisme — les camarades de la LIT, de l'IS et des organisations qui ont des positions similaires auraient dû conclure que la défaite d'un gouvernement réactionnaire ou la chute d'une dictature n'est pas nécessairement un pas en avant pour la révolution ouvrière socialiste. »6
    Voici comment, par un autre chemin, ils arrivent à la même position que les partisans de Castro et Chavez : soutenir Kadhafi. Face à l'intervention impérialiste, ce tyran serait un « moindre mal ». De toute évidence, pour les camarades, face à l'intervention impérialiste qui a « pollué » l'ensemble du processus, il aurait été préférable que Kadhafi reste au pouvoir. Probablement, ils auraient souhaité des réalités plus simples. Mais la vie est pleine de contradictions et il est vrai que l'impérialisme interviendra toujours (toujours, sans exception !) dans les processus révolutionnaires. Si ce courant était à la direction de ces processus, nous serions toujours du côté des gouvernements réactionnaires ou dictatoriaux.
    Prenons quelques cas de la période 1989-1990. En 1989, en Chine, il y a eu un processus de mobilisation de masses contre les effets de la restauration du capitalisme et contre la dictature du PC. La dictature a massacré le centre de la protestation sur la place Tien Anmen, tuant 7.000 personnes et en blessant 10.000. L'impérialisme a soutenu ces manifestations et des secteurs bourgeois les ont encouragées. Devrions-nous accuser les manifestants « d'agents de l'impérialisme » et nous opposer à cette lutte pour la démocratie ? Telle était la position du stalinisme, partout dans le monde. Cohérent avec leur raisonnement, les camarades de la FT-PTS auraient dû dire la même chose et soutenir le massacre, d'autant plus qu'à l'époque, ils pensaient que la Chine était toujours un Etat ouvrier bureaucratisé (une caractérisation qu'ils ont apparemment changée récemment, sans la moindre autocritique).
    On peut dire la même chose des mobilisations démocratiques de 1989-1990 dans l'ancienne URSS, soutenues par l'impérialisme et des secteurs bourgeois, avec Eltsine à la tête. Quant aux révolutions politiques : le trotskisme devait-il s'opposer au soulèvement ouvrier de 1956 en Hongrie, parce que l'impérialisme a aussi clairement soutenu les protestations contre la bureaucratie soviétique ? Devrions-nous avoir fait la même chose quand l'impérialisme et tout l'appareil de l'Eglise catholique ont soutenu le combat de Solidarnosc en Pologne dans les années 1980 ?
    Le virage au Castro-Chavez-stalinisme est surprenant. D'une première position où ils revendiquaient et valorisaient le processus révolutionnaire populaire pour la chute du dictateur libyen, ils se sont réorientés jusqu'à arriver à un soutien de Kadhafi, couvert par une phraséologie pseudo-révolutionnaire.
    Cette position de la FT-PTS a d'autres implications politiques actuelles, en plus de la question libyenne. Dans le cas de Cuba — où les camarades affirment qu'il n'y a toujours pas eu de restauration du capitalisme, mais que subsiste un Etat ouvrier bureaucratisé, et qu'une nouvelle révolution sociale n'est donc pas à l'ordre du jour, mais une révolution politique — quelle sera la position de la FT-PTS si, comme en Libye, un soulèvement populaire y éclate avec des aspirations démocratiques populaires contre la dictature des frères Castro, et que l'impérialisme et les gusanos 7 soutiennent ces protestations et promeuvent des directions bourgeoises et soumises, comme ce serait probablement le cas ? Avec son cadre théorique sur la nature de l'Etat cubain et avec ses arguments, il est hautement probable que, en raison du soutien de l'impérialisme, ils se situent du côté de la défense des frères Castro (et d'un supposé « Etat ouvrier »), contre les masses. Si la dictature des frères Castro venait à tomber, comme Kadhafi est tombé, diront-ils que ce renversement est « réactionnaire » ? L'argument des camarades n'a rien d'original, c'est le même que le stalinisme a toujours utilisé pour défendre les dictatures, contre les actions des masses.

Ronald León (Article publié dans Courrier International n°6.)

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1 Discussion avec la LIT : La LIT considère-t-elle comme progressiste « l'unité d'action entre les masses et l'impérialisme » en Libye ?
2 Déclaration de la FT : L'OTAN cherche à s'assurer le contrôle de la Libye. Posté sur son site internet le 25/8/2011.
3 Ibid., souligné par nous.
4 Ibid., souligné par nous.
5 Discussion avec la LIT : La LIT considère-t-elle comme progressiste « l'unité d'action entre les masses et l'impérialisme » en Libye ?
6 Ibid., souligné par nous.
7 La bourgeoisie cubaine réactionnaire réfugiée aux Etats-Unis (NdT)